La Factory
J.R. Léveillé (Manitoba)
Au début de 1973, dans la Factory d’Andy Warhol. Le critique d’art Bernard Mulaire, le dramaturge Guy Gauthier et moi étions passés voir Andy… Guy pour lui montrer sa récente pièce conceptuelle. Andy connaissait déjà Mulaire1 qui avait étudié en beaux-arts à Philadelphie en 1971-1972, et Gauthier, indirectement, pour avoir vu certaines de ses pièces Off-Off Broadway. Quant à moi, je résidais à Ottawa, je rédigeais mon roman La disparate, et me rendais souvent dans la Big Apple pour goûter au fruit défendu de l’art (croyez-moi, c’est souvent interdit !)
La Factory venait de déménager du Decker Building pour se reloger au 860 Broadway, côté nord d’Union Square. Warhol avait réalisé son plus grand succès cinématique en 1964 avec Empire, un plan fixe de l’Empire State Building qui dure 8 h 5 min. Gauthier venait de créer son Panorama de l’Empire State Building. « It’s an incredible spectacle » de dire Mulaire. « Is that right, BernHard (c’est ainsi qu’il prononçait le nom), dit Andy, but I believe you. » Guy montra alors à Andy sa nouvelle pièce conceptuelle dont les annonces devaient être publiées dans les quotidiens.
Andy, qui faisait faire une série de sérigraphies par des adjoints, qu’il était sur le point de signer, dit : « Oh, I love it… but Guy [prononcé à l’anglaise], remember… Go big or go home. » Andy aimait les clichés. Il pointa son appareil, prit une photo de groupe et nous sommes partis.
Le lendemain, nous nous présentions à nouveau, Guy avec une nouvelle pièce en main. Andy lui dit : « Hi Guy! » Et Guy lui montra sa nouvelle création.
Andy se tourna vers Bernard et lui dit : « Oh, I love it… What do you think BernHard… BIGGER? » Puis il demanda à Edie Sedgwick de prendre une photo de groupe.
Deux jours plus tard, nous sommes revenus à la charge à la Factory qui pullulait d’adjoints et de vedettes de tout ordre : Divine, Mick Jagger qui avait commandé un autoportrait et à qui Andy tentait d’expliquer que : « Micky, it can only be an auto-portrait if it’s me. », Lou Reed, William Burroughs, Paul Morrissey, Edie comme toujours, Candy Darling qui allait bientôt mourir, Joe Dallesandro, Gerard Malanga, Ingrid Superstar, et d’autres…
Andy ajusta ses lunettes.
Andy dit : « Oh, I love it. » Il ajouta : « Why don’t you write more in French? ». Puis il appela tout le monde : « Everyone, come and see. » Tout le monde s’empressa. « This will go universal. ». Tout le monde lisait. « I wish I could take a picture of the whole thing… Wouldn’t that be great! Can someone take a picture of the play? »
Puis, comme nous quittions l’attroupement, Andy : « You’re my guy, Guy, bye… »
Notes
1. Voir MULAIRE, Bernard (2018), Flâneries et Souvenances, Saint-Boniface, Éditions du Blé, p. 129-131.
2. Les pièces de Guy Gauthier ici citées sont de véritables créations en langue américaine faisant partie de ses poésies, pièces et performances ready-made. [Ma traduction.]
Plein les yeux
Virginie Hamel (2024)
J. R. Léveillé
Originaire de Winnipeg, J. Roger Léveillé est l’auteur d’une trentaine d’œuvres, en tous genres, récompensées par divers prix littéraires dont le Prix de distinction en arts de la province du Manitoba. Il a été directeur littéraire aux Éditions du Blé et secrétaire du Winnipeg International Writers Festival pendant de nombreuses années. Un colloque international sur son œuvre a eu lieu en 2005 et il a été écrivain et professeur en résidence à l’Université de Rennes II en 2009.