Numéro 1 - Printemps 2017

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L’Égaré


L’Égaré

Danielle S. Marcotte (Colombie-Britannique)

Les oiseaux de nuits se battent

Les oiseaux de nuits se battent

David Baudemont - Aquarelle et fusain sur papier

Un satellite brille de tous ses feux dans le ciel étoilé et poursuit sa course nocturne. Perdu en forêt, l’homme d’affaires EM s’étonne et se rend compte qu’à cette altitude, à cette longitude, il s’agit là surement de l’une de ses propres machines qui passe au-dessus de sa tête… et que cela ne l’aide en rien. En cette nuit froide et claire de décembre, son téléphone sans énergie, toutes piles éteintes, et sa montre dernier cri oubliée sur sa table de chevet, ne lui sont à cet instant d’aucune utilité.

Au-dessus de l’homme égaré, l’engin lumineux lance des signaux incandescents. L’espace d’un instant, l’appareil semble se moquer de lui, de son inquiétude, comme si cette anxiété pour sa survie faisait de EM un être irrésolu et sans envergure. Il a une pensée fugace.

— Cette machine brillante me regarde de haut, se dit-il sans ironie, un sentiment d’ailleurs qu’il ne connait pas.

Son incapacité à se servir à cet instant de toutes ses technologies grâce auxquelles il a lancé son satellite dans l’espace en grande pompe, hier, devant le président américain apparait soudainement dans son esprit d’un ridicule achevé. Il était si fier, si heureux ce jour-là, certain de ses compétences et de son caractère exceptionnel. L’adulation de tous le saoulait de plaisir.

Or, c’est justement cette joie un peu infantile éprouvée lors du lancement qui lui a fait oublier cette nuit la prudence la plus élémentaire. Elle l’a totalement envahi, sorti de lui-même. Euphorique, il est revenu tout de suite à la maison après le lancement, danser de joie avec ses enfants. Enfin… Sauter un peu comme un chimpanzé dans le salon de sa demeure ultra moderne où, normalement, il exige de sa famille une retenue presque militaire. Les jeunes, étonnés et malhabiles, l’ont suivi dans cette gestuelle guindée et extravagante plutôt que de risquer sa mauvaise humeur, ses impatiences.

Au milieu de la nuit cependant, il est sorti en catastrophe de chez lui quand, au détour d’un rêve étrange, un détail important à propos de sa création lui est revenu pendant son sommeil. Un détail qu’il a oublié de vérifier hier dans la joie du moment. Contrairement à ses habitudes de vie très régimentées, il est parti de chez lui sans vérifier l’état de son téléphone, celui de sa montre et de sa vessie. Il est monté à toute vitesse dans sa jeep pour retourner au bureau vérifier un détail capital à propos du satellite.

Le premier de ses oublis à le rattraper fut l’urgence ressentie par son corps, dont il oublie parfois même jusqu’à l’existence. En s’arrêtant au bord de la route, distrait par la clarté de la lune et la senteur des pins, la beauté de la terre et du ciel, il a fait, ébahi, quelques pas en direction de la forêt avant de soulager sa vessie. C’est en se retournant qu’il les a vus. Entre lui et son véhicule, trois loups, langue pendante, l’œil railleur, le fixaient.

Jamais de sa vie n’avait-il éprouvé une telle peur et de façon aussi soudaine. La panique déclencha chez lui une course folle. Les loups lui semblaient s’amuser de sa fuite malhabile dans la forêt chétive, au sol couvert d’une fine couche de neige, jusqu’à ce qu’il détecte, malgré sa terreur obnubilante, un arbre plus imposant qu’il pourrait peut-être grimper. C’est de ce perchoir impromptu qu’il ausculte maintenant le ciel.

Déjà par deux fois, le satellite a semblé le saluer au passage, comme s’il lui destinait des messages dans un morse silencieux. Des messages un peu moqueurs d’abord, puis, la nuit laissant la place à l’aube, des clignotements de plus en plus menaçants, maléfiques même.

Au petit jour, des policiers venus inspecter sa voiture abandonnée suivent la marque de ses pas dans la fine couche de neige. Les loups s’enfuient. Ramené chez lui, il ouvre la porte qu’il n’a pas pris la peine de verrouiller dans sa hâte.

Seul le plus jeune de ses fils est réveillé. De tous ses enfants, c’est celui qui lui ressemble le plus. Il joue au salon avec son lego en forme d’astronaute et trois formes animales. Trois chiens ou trois loups peut-être. Il ne lève pas les yeux de son jeu quand son père entre.

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