Cité 47
Seream C.H.
1er poème (Cité 47)
1
Quand l’aube fine attardée faisait fondre nos cauchemars
Les corbeaux du matin prenaient place sur les toits
Et notre cité perdue couvrait le tintamarre
Des grondements dociles de nos âmes aux abois…
De nos âmes aux abois.
2
Quand les nuages austères survolaient le quartier
Nous gerbions à la chaîne les vestiges de nos rêves
Et notre cité fantôme adoucie par nos pieds
S’offrait le luxe teigneux de nous faxer la trêve…
De nous faxer la trêve.
3
Quand les hordes de frelons descendaient dans nos rues
Les bébés assoiffés s’échappaient des poussettes
Et notre cité vaincue par les rides distordues
S’adonnait au pogo, mais jamais aux pincettes…
Mais jamais aux pincettes.
4
Quand nos enfances sortaient du dédale des garages
L’aire de jeux des vieillards venait juste de fermer
Et notre cité de pierre insensible aux mirages
Laissait planer dans l’air une sensation cernée…
Une sensation cernée.
5
Quand l’oracle attardé nous présentait du vide
Sur les reflets livides d’interfaces anonymes
Le parme sur la cité capricieuse et aride
Nous faisait oublier que vivre n’est pas un crime…
Que vivre n’est pas un crime.
6
Quant à la dérobade nous sortions des chemins
Les hyènes casquées veillaient sur l’aiguille du vumètre
Et notre cité antique se prenait par la main
Avec des rires brillants et du linge aux fenêtres…
Et du linge aux fenêtres.
7
Quand nos balcons brillaient une fois la lune en place
Nous rendions aux étoiles leurs chimères infinies
De nuit notre cité se changeait en palace
Une lueur nous suivait au bout des insomnies…
Au bout des insomnies.
8
Quand la rouille et la ruine se léchaient sur les bancs
Une main dans les tuyaux et l’autre sur les façades
Notre cité bleutée quantifiait le néant
Et des queues de sirènes nous chantaient des brimades…
Nous chantaient des brimades.
9
Quand les avances obscènes de nos hydres enjôleuses
Ne ressemblaient jamais à de jolis mots doux
Notre cité marbrée s’en tapait les valseuses
Et sur les monolithes nous gravions du hibou…
Nous gravions du hibou.
10
Quand les nouvelles fissures ne se remarquaient plus
Il fallait éviter d’y laisser son pied droit
Dans la cité sauvage où croulaient les exclus
Et les chiens perdus qui n’avaient pas de roi…
Qui n’avaient pas de roi.
11
Quand nos rimes inspirées muaient en hiéroglyphes
Pour exprimer l’époque en visitant des crânes
Notre cité céleste s’écroulait sous les gifles
Dans un climax parfait, parfait pour les chicanes…
Parfait pour les chicanes.
12
Quand les bourreaux marchaient en levant leurs cagoules
Loin des ruelles fangeuses bordées de rats crevés
Notre cité de sable louait des dieux mabouls
Prêts au moindre caprice à nous foutre une fessée…
À nous foutre une fessée.
13
Quand l’ange halluciné réparait son lance-flammes
Sur les marches affolées du temple des initiés
Notre cité souillée distribuait la came
Le jour J à heures fixes et les fix remboursés…
Et les fixs remboursés.
14
Quand les scories du rien débordaient du néant
Emportant dans ses flots nos cernes et nos mémoires
Notre cité hybride recollait ses fragments
Et colmatait les brèches et les trous des trottoirs…
Et les trous des trottoirs.
15
Quand le ciel s’abaissait, nous pouvions le toucher
Si l’usine à paillettes retrouvait ses fusibles
Car notre cité en rade s’inventait des enfants
Aux mollets écorchés et aux rêves impossibles…
Et aux rêves impossibles.
16
Quand nos muses fatiguaient à maintenir la pause
Dans la lumière morose du blanc des abattoirs
Notre cité charnelle exhibait ses mycoses
Et soignaient nos gri-gris jusqu’au fond des tiroirs…
Jusqu’au fond des tiroirs.
17
Quand la marée jaunie déjouait les horaires
Il nous fallait garder du charbon pour la fête
Car notre cité frileuse se moquait de l’hiver
Et des rations de chair pour faire passer les miettes…
Pour faire passer les miettes.
18
Quand le tonnerre grondait dans le double vitrage
Le sable des baies brisées déroutait nos visions
Et notre cité tronquée devant tous les naufrages
Balançaient des bouées sans aucune conviction…
Sans aucune conviction.
19
Quand l’azur déposait son bleu mélancolique
À la sortie des classes vers les routes sans retour
Notre cité interdite se fendait à l’oblique
Et tous nos raccourcis s’allongeaient en détours…
S’allongeaient en détours.
20
Quand les runes mélangées trépignaient sur la table
Pour nous prédire l’avenir avec ou sans baillons
Notre cité câline assénait dans ses râles
Des cyclones oubliés et de vieux tourbillons…
Et de vieux tourbillons.
21
Quand les égouts coulaient dans le sens du soleil
Avec la pestilence des charmes invendus
Notre cité maudite nous réglait le réveil
Sur l’heure de l’agonie à la trappe aux pendus…
À la trappe aux pendus.
22
Quand le fiel dans les gènes se fondait aux salives
Nos crachats comme l’acide grignotaient les bâtisses
Et notre cité aveugle sous la grêle intensive
Découvrait la poussière jusqu’au bord des calices…
Jusqu’au bord des calices.
23
Quand les impacts broyaient en toute sérénité
Nos cloisons démontées sous les cris des louveteaux
Notre cité cramée par ses fées entêtées
Refusaient de pencher dans le sens des berceaux…
Dans le sens des berceaux.
24
Quand sur les terrains vagues nous comptions les tuer
Dans l’air pulvérisé d’un répit inquiétant
Notre cité en sursis conservait son passé
Qui tenait dans la poche comme des p’tits cailloux blancs…
Comme des p’tits cailloux blancs.
25
Quand la pâleur extrême des profils tourmentés
Donnaient au quotidien des éclats maladifs
Notre cité diaphane aux desseins consumés
Jouait avec nos nerfs et nos liens affectifs…
Et nos liens affectifs.
26
Quand les minutes fébriles sur notre écran stellaire
S’allongeaient dans l’ennui pour mieux nous retarder
Notre cité bancale bâtie sur des repères
Confondait son poids brut avec la densité…
Avec la densité.
27
Quand nos pactes empressés qui n’engageaient que nous
Titillaient nos souvenirs à nous rendre indomptables
Notre cité consumée ravalait son dégoût
Connaissant les faiblesses de l’ère insupportable…
De l’ère insupportable.
28
Quand les légendes officielles se trompaient de discours
Nous n’avions plus la foi d’amuser les petits
Et notre cité transie n’attendait rien du jour
Ni même des cotillons ni même des confettis…
Ni même des confettis.
29
Quand les arènes désertes changeaient de silhouette
Les vitraux éclatés laissaient passer l’esprit
Et notre cité calcaire n’avait plus de brouette
Pour planquer les gravats et toutes sortes de débris…
Et toutes sortes de débris.
30
Quand notre hymne hibernal se reprenait en chœur
En claquant des molaires au rythme des frimas
Notre cité sans visage cédait tout son secteur
À la fragilité et au mauvais karma…
Et au mauvais karma.
31
Quand la pierre angulaire bullait des ronds dans l’eau
Les passants éreintés à l’âme bien accrochée
Traversait la cité connectée par défaut
Lasse de ses précipices et de ses tours penchées…
Et de ses tours penchées.
32
Quand l’asphalte déteignait sur le rose de nos joues
Dans une brise de tristesse à faire chialer les merles
Notre cité insipide empirait comme nos fous
Bons pour la camisole où a chassé les perles…
Ou à chasser les perles.
33
Quand nos silex craintifs taillaient les séquoias
C’est qu’il manquait des planches pour couvrir nos greniers
Et notre cité humide avait droit au débat
Ajoutant au désastre la liste des épargnés…
La liste des épargnés.
34
Quand notre paysage se floutait de détresse
Nous reprenions le pain jeté à nos pigeons
Et notre cité transfert revendait les caresses
À l’abri des radars à ronger nos moignons…
À ronger nos moignons.
35
Quand nos gilets pare-balles inspiraient la grande mode
On se prêtait nos casques sous les électrochocs
Et notre cité fourbue accumulait les codes
Comme les panneaux indignes « Attention chute de blocs » …
« Attention chute de blocs »
36
Quand les astéroïdes nous prenaient plus pour cible
Pour ne pas se salir de la boue arriérée
Notre cité effacée à l’avenir peu crédible
Voyait ses murs tremblés et les mères atterrées…
Et les mères atterrées.
37
Quand les torpilles glissaient pour humer le carnage
À travers les tuyaux via nos robinets
Notre cité plombée regardait le carrelage
Éclater dans les douches et dans les cabinets…
Et dans les cabinets.
38
« Sont-ce des armées aveugles dressées pour mieux détruire
Le moindre signe de vie au moindre signe de tête
De notre cité cynique assignée à s’enfuir
Avec ses plus beaux restes plus fragiles qu’une maquette…
Plus fragiles qu’une maquette ? »
39
Quand les ténèbres fendaient le cœur de nos aurores
Comme une bûche de mélèze sous la hache affûtée
Notre cité accablante tiraillée de tous bords
Morcelait sa plastique battue et percutée…
Battue et percutée.
40
Quand nos regards gothiques heurtaient l’antimatière
Pour annuler le cycle de la nature coincée
Notre cité salie misait la der des ders
Sur une table de camping au milieu du cimetière…
Au milieu du cimetière.
41
Quand les devins sevrés de la fin programmée
Flirtaient dans l’inutile du dénouement exquis
Notre cité faisandée par nos tripes exhibées
Bectaient à la volée les cendres de nos biscuits…
Les cendres de nos biscuits.
42
Quand les astres alignés valaient un bon augure
C’est que les grands sorciers se mettaient l’poing dans l’œil
Et notre cité proscrite bardée de points de suture
Ne tirait plus de plans pour toréer l’écueil…
Pour toréer l’écueil.
43
Quand les courroux tombaient comme un vol de feuilles mortes
Il restait nos stigmates pour encaisser les coups
Et notre cité rasée confessait son escorte
Remontant des décombres avançant à genoux…
Avançant à genoux.
44
Quand la déliquescence des larmes de nos abris
Suintait comme de la cire brûlante de mille chandelles
Notre cité condamnée par toutes les pénuries
Agitait l’drapeau blanc picoré d’étincelles…
Picoré d’étincelles.
45
Quant au bout des pelotes il manquait du mouton
Nous mations les déluges toujours sans nous mouiller
Notre cité exilée atrophiée à foison
Savait que les prières n’éviteraient pas le bourbier…
N’éviteraient pas le bourbier.
46
Quand les charniers s’offraient le luxe d’inviter
Les enfants orphelins qui cherchaient une issue
Notre cité reléguée au fondement inquiété
Maintenant était vide comme le cœur d’un déçu…
Comme le cœur d’un déçu.
47
C’était le jour d’avant le jour d’après
Le jour avait perdu son nom
Notre cité ne l’avait pas fait exprès
Elle aussi avait perdu son nom, mais pour d’autres raisons…
Mais pour d’autres raisons.