Cantate pour légumes (Extrait)
Madeleine Blais-Dahlem
Au cœur de ce texte sont quatre êtres qui ont perdu leur voix, la capacité d’exprimer leur volonté et leur angoisse. Ancrés dans leurs fauteuils roulants, Asperge, Gourde, Navet et Asperge rêvent d’évasion. Dans les solos de la cantate, les légumes expriment leurs désirs les plus profonds.
SOLO
ASPERGE J’ai perdu mon élégance
Mon charme
Ma présence
Il était une fois
J’étais quelqu’un
Il ne reste plus rien ici
Qu’un sac de tripes
Un cœur clopinant
Des poumons parcheminés
Un corps qui ne se connait plus
Vous me sortez prendre du soleil
Comme un géranium en pot
On m’abreuve *** Echo des autres.
On me mouche *** Echo
Il n’y aura aucune floraison
Aucun épanouissement
On me nourrit *** Echo
On me torche *** Echo
J’ai attendu trop longtemps
J’ai manqué le moment
Où j’avais le choix
N’attendez pas
N’attendez pas qu’il soit trop tard
N’attendez pas le dernier au revoir
Laissez moi partir
Décidés d’aller en pèlerinage à Compostelle, le quatuor de légumes imaginent diverses façons de quitter : par train, en paquebot…. Cet extrait présente une solution tout en nous rappelant que les légumes ne pourraient exister sans un appui essentiel qu’ils haïssent.
« Les Mains »
AVOCAT On nous poussera!
GOURDE On nous poussera?
ASPERGE Qui nous poussera?
AVOCAT Les mains.
ASPERGE Ces ombres imprévues?
GOURDE Les mains?
NAVET Invoulues?
GOURDE Les mains?
ASPERGE Elles ne voudront pas.
AVOCAT Nous sommes leur raison d’être.
ASPERGE Si nous partons…
TOUS Les mains qui nous touchent
Les mains qui nous torchent
Les mains qui nous mouchent
Les mains qui nous touchent!
NAVET Les mains ne me connaissent pas.
Je suis rien pour elles.
Elles font ce qu’elles doivent
Puis elles se retirent sans la moindre caresse
TOUS Les mains qui nous touchent
GOURDE Les mains sèches m’agressent
M’obligent de manger
Quand j’en ai pas le cœur.
TOUS Les mains qui nous torchent
ASPERGE Les mains froides me donnent des frissons.
Leur toucher matinal me réveille
En sursaut
TOUS Les mains qui nous mouchent
AVOCAT On me touche, on me touche partout.
Il n’y a aucune partie de mon corps qui est à moi.
On me touche sans que je le veuille.
TOUS Les mains qui nous touchent
Les mains qui nous torchent
Les mains qui nous mouchent
Les mains qui nous touchent!
GOURDE Elles ne voudront pas.
NAVET Que feront-elles sans nous/
ASPERGE /Pour gagner leur ciel?
TOUS Les mains qui nous touchent
Les mains qui nous torchent
Les mains qui nous mouchent
Les mains qui nous touchent!
Madeleine Blais-Dahlem
Originaire de Delmas, village francophone de la Saskatchewan, Madeleine détient une maîtrise en littérature française de l’Université de la Saskatchewan. Elle a enseigné pendant 27 ans, surtout en immersion française au niveau secondaire. Elle a commencé à écrire pour le théâtre en 1992. Depuis 2005, elle en fait sa profession. Quatre de ses pièces ont été produites par La Troupe du Jour : Foyer en 2005 (en coproduction avec L’UniThéâtre), Les vieux péteux en 2008, La maculée en 2011 et Cantate pour légumes en 2015.