VOLUME 6 - HIVER 2021

À ciel ouvert / Ancrages

 

Cette édition de la revue À ciel ouvert est le fruit d'un partenariat avec Ancrages, la revue acadienne de création littéraire..

La revue est également disponible en version PDF :

Bonne lecture!


 

Liminaires et analyse

L’instinct de respirer

L’horizon des possibilités

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Outre-mère

Madeleine Blais-Dahlem

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Illustration : Zoé Zénon
Lorsque j’ai reçu le premier versement de l’héritage de ma mère, j’ai noté que, comme résultat peut-être d’une imprimante qui n’était pas bien enlignée, ce cadeau d’outre-tombe m’arrivait de Marie-Rose, et non d’Irène, le nom de service de ma mère.

Je me suis immédiatement posé la question : est-ce que Marie-Rose m’aurait laissé le même legs qu’Irène, avait-elle eu le choix de vivre sa vie dans le corps qu’elle partageait avec Irène ?

Notre nom influence qui nous sommes et ce que nous devenons.

Moi, je suis Madeleine Marie. Mes deux prénoms offrent un côtoiement paradoxal : la plus fameuse pécheresse de l’Église catholique jumelée avec la mère virginale de Jésus. Est-ce qu’un nom neutralise l’autre ? Ou bien est-ce que la porteuse d’un tel nom peut se permettre une alternance de comportements ?

Tout ceci pour dire que ma mère, ayant reçu trois prénoms lors de son baptême à l’église de Sainte-Perpétue, Comté l’Islet au Québec en 1909, a eu un destin imposé sur elle lorsqu’on a décidé que son nom de vie quotidienne serait Irène et non Marie-Rose.

*****

Combien de fois est-ce qu’on se fait interpeller par son prénom dans la durée d’une vie ? Quel est l’effet cumulatif des sonorités qui nous identifient ? Comment est-ce que cet amalgame de consonnes fricatives, explosives, de « h » aspirés, de voyelles nasales ou ouvertes influence notre autoperception ? Quelle est la différence entre un nom monosyllabique : tranchant, abrupt, dur et un nom polysyllabique musical ?

Je crois que les deux syllabes qui composent le nom « Irène » ont informé son caractère aussi bien que sa présence physique. Le « I » stoïque, dressé fièrement comme une colonne grecque, résonne comme un clairon. Impossible de manquer ce son-là. La deuxième syllabe, « rène » finit sur un e muet, mais le roulement du « r » fait de ce nom une déclaration d’état d’être. Irène !

Ma mère qui ne mesurait que 5 pieds 1 pouce était beaucoup plus grande que ça dans son esprit. Si on l’avait appelée Marie-Rose, aurait-elle eu les épaules carrées, le port de tête fier, les yeux intelligents, mais méfiants ?

Le nom Marie-Rose suggère une personnalité très différente, autant par sa sonorité que par les toutes les associations que nous faisons avec le mot « rose ». Cependant, beaucoup de ces associations sont devenues des clichés. Est-ce qu’une Marie-Rose aurait eu la vie plus ou moins facile ? Est-ce qu’une Marie-Rose aurait eu le même sourire qu’Irène ?

*****

Pourquoi est-ce que je me pose toutes ces questions maintenant que ma mère est décédée. C’est quoi ce jeu de noms ? Qu’est-ce que je cherche ici ? J’ai passé beaucoup de temps avec ma mère dans mon enfance. Nous vivions sur la ferme et nous avions une belle vie de famille. J’ai passé mes étés avec elle jusqu’au temps de mon mariage à l’âge de 23 ans. Et plus tard, une fois qu’elle était veuve, je la visitais assez souvent, pendant trente ans.

Je devrais bien la connaître. Je crois que j’ai assez bien connu la femme nommée Irène. Je ne sais pas si j’ai connu, ou même rencontré, Marie-Rose.

Mais si ! Une fois dans une photo. Je visitais chez sa sœur aînée, Gabrielle, qui vivait dans un foyer à Québec. Tante Gabrielle a sorti une boîte à chaussures pleine de photos en noir et blanc, des photos de sa jeunesse à Duck Lake. Une photo m’a sauté aux yeux. C’était moi ! La quatrième dans une rangée de quatre adolescentes, je riais à gorge déployée, la tête renversée. Mais non. Impossible. C’était ma mère, avec ses trois grandes sœurs, Germaine, Gabrielle et Jeanne.

Je n’ai jamais dans ma vie, dans notre vie de famille, vu ma mère rire avec un tel abandon. Il y avait toujours une précaution qui mesurait ses sourires, ses réponses et réactions. Je me retrouve dans cette photo rieuse, une photo de Marie-Rose, mais j’ai toujours eu du mal à me retrouver dans Irène.

*****

On dit que les écrivains écrivent pour répondre aux questions qu’ils se posent. Je suis entièrement d’accord avec ça. Mon problème ici est que je ne suis pas certaine de la question que je me pose. Je crois que je veux savoir si Irène était heureuse. Je veux savoir ce que ça lui a coûté de devenir ma mère. Je me demande si moi, je l’aurais aimé plus facilement si elle avait été Marie-Rose. Et je me demande si Marie-Rose aurait eu du mal à survivre la vie de fermière, de mère de famille, d’épouse de l’homme qui était mon père. Je sais qu’Irène a surmonté tous ces défis. Mais est-ce qu’elle aurait été plus heureuse, avait-elle pu faire des choix à la Marie-Rose ?

Que serait-il arrivé si elle avait fait d’autres choix que ceux qu’elle a faits ?          

Je me retrouve donc à contempler le mystère de Marie-Rose Irène.


Madeleine Blais-Dahlem

Madeleine Blais-Dahlem

Originaire de Delmas, village francophone de la Saskatchewan, Madeleine détient une maîtrise en littérature française de l’Université de la Saskatchewan. Elle a enseigné pendant 27 ans, surtout en immersion française au niveau secondaire. Elle a commencé à écrire pour le théâtre en 1992. Depuis 2005, elle en fait sa profession. Quatre de ses pièces ont été produites par La Troupe du Jour : Foyer en 2005 (en coproduction avec L’UniThéâtre), Les vieux péteux en 2008, La maculée en 2011 et Cantate pour légumes en 2015.

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Au-delà des contours et des souvenirs

Les artisans de ce numéro

Artisans du numéro conjoint des revues Ancrages et À ciel ouvert

Édition : Jean-Pierre Caissie et Marie-Diane Clarke
Commissariat en arts visuels: Anne Brochu-Lambert et Jean-Pierre Caissie
D'après une idée originale de Jean-Pierre Caissie et Sébastien Rock
Coordination du numéro : Rachel Duperreault et Jeffrey Klassen
Édition et révision : Georgette LeBlanc

Couverture: Frédéric Gayer
Œuvre de couverture : Lou-Anne Bourdeau, ciel mer, aquarelle et encre sur papier, 2018.
Mise en page du numéro pdf: Jean-Pierre Picard
Mise en ligne du numéro web: Jean-Pierre Picard

Comité de rédaction d'Ancrages :
Sonya Malaborza, Georgette LeBlanc, David Décarie, Marc Chamberlain, Jean-Pierre Caissie, Paul Bossé, Joël Boilard.

Comité de rédaction de la revue À ciel ouvert:
Jeffrey Klassen, Sébastien Rock, Marie-Diane Clarke, Henri Biahé, David Baudemont, Jean-Pierre Picard

Auteurs / Artistes :

  • Gisèle Villeneuve / Jean-Sébastien Gauthier
  • Rachel Bonbon. / Lou-Ann Bourdeau
  • Joëlle Préfontaine./ David Champagne
  • Marika Drolet-Ferguson / Estelle Bonetto
  • Martine L. Jacquot / Zoé Zénon
  • Robert Malo / Guillaume Lépine
  • Daniel H. Dugas / Maryse Arsenault
  • David Baudemont / David Baudemont
  • Joanie Serré / Mario Rhéal Cormier
  • Alasdair Rees / Michèle MacKasey
  • Josée Thibault / Denis Lanteigne
  • Paul Ruban / Frédéric Gayer
  • Caroline Bélisle / Anne-Marie Sirois
  • Mihku Paul / Emily Sanipass
  • Louise Dandeneau / Léopold L. Foulem 
  • Laurent Poliquin / Sylvie Pilotte
  • Simon Brown / Laura St. Pierre

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