L’endroit idéal pour grandir
Zoong Nguyên (Alberta)
Quand j’étais petite fille, mon grand-père paternel nous racontait, à mes frères, mes sœurs et moi, des contes lorsque nous allions le visiter. J’admirais mon grand-père et j’appréciais particulièrement un conte que je veux vous raconter maintenant.
Il était une fois une jeune femme veuve, accompagnée de son fils âgé de six ans. Itinérants et sans-abri, ils erraient de village en village à la recherche de travail et de nourriture, mendiant auprès des habitants et cherchant un endroit pour se reposer. Ils dormaient dans la rue, sous les ponts, dans les ruelles ou près des décharges. Leur quotidien changeait sans cesse, et ils perdaient souvent leurs repères. Il leur arrivait fréquemment de se coucher le ventre vide, la mère tentant de réconforter son fils en lui promettant que le lendemain serait meilleur.
Un jour, alors qu’ils passaient par le marché du village, la mère trouva un petit abri couvert près de la boulangerie. Elle espérait pouvoir s’y installer plus longtemps avec son fils, si les commerçants ne les chassaient pas. Tous les matins quand les gens du village venaient au marché faire leurs emplettes, le petit garçon voyait des vendeurs attirant à haute voix les clients à leur stand, il entendait les gens marchander les prix. Quatre-vingt-cinq sous le kilo de choux, trente sous le kilo de pomme de terre... Les clients marchandaient les prix... soixante-dix sous pour le chou? Et vingt sous pour les pommes de terre? Alors un demi-kilo de tomates et un demi-kilo de poivrons, madame?
Le soir, lorsque le marché fermait, la mère trouvait de la nourriture dans les poubelles, qu’elle partageait avec son fils. Pendant quelques jours, leur vie sembla plus stable. Cependant, le petit garçon répétait à sa mère tout ce qu’il avait entendu au marché, les cris, les prix, des commérages du village. Sa mère était bien découragée de voir ce que son fils apprenait durant sa journée. Elle décida alors de chercher un autre endroit.
Près du cimetière du village se trouvait une hutte abandonnée, un endroit tranquille. La mère emmena son fils s’y installer. Chaque matin, elle partait mendier de la nourriture au village ou au marché, laissant son fils seul au cimetière. Il voyait alors des enterrements où les gens pleuraient. Le soir, au retour de sa mère, il imitait les pleurs qu’il avait entendus toute la journée. C’était tellement triste que sa mère décida de partir à nouveau, de trouver une nouvelle place où s’installer. Leur « géographie » n’était toujours pas idéale.
Après quelques nuits passées sous un pont, ils se dirigèrent vers une petite école tout près. Dans un coin de la cour, la mère pensa qu’ils pourraient rester un moment, car personne n’occupait l’école le soir. Ils y passèrent une bonne nuit. Le lendemain matin, la mère partit comme d’habitude chercher de la nourriture, laissant son fils dans la cour de l’école. Pour la première fois, il vit de nombreux enfants de son âge heureux de jouer ensemble pendant la récréation. Curieux de nature, il s’approcha de la fenêtre de la classe pour observer ce que les enfants faisaient à l’intérieur. Il vit les enfants apprendre à chanter, à lire, à écrire, à compter et à danser. Le soir, lorsque sa mère revint avec de la nourriture, il lui raconta joyeusement tout ce qu’il avait vu et entendu à l’école, les noms des élèves, les comptines, les chansons, l’alphabet, et ils rirent ensemble, heureux.
La mère comprit alors que c’était là qu’ils avaient trouvé leur endroit idéal sur la carte du monde.
À vol d'oiseau
Virginie Hamel (2024)
Zoong Nguyên
Zoong Nguyên est d’origine vietnamienne, elle a grandi à Montréal et a déménagé à Calgary en 2005. Zoong est peintre et elle prend le goût de l’écriture durant la Covid.