Numéro 4 - Automne 2018

Sébastien Rock

depuis la garde du matin

Sébastien Rock (Saskatchewan)

Michel Saint-Hilaire — Fluide

Michel Saint-Hilaire — Fluide

Peinture acrylique et crayon sur panneau de bois, 24 par 20 pouces, 2017
Introduction

J’ai découvert le haïku il y a près de dix ans. Sans que j’en prenne conscience, le haïku a servi d’échafaudage après qu’une tempête ait secoué mes mondes intérieur et extérieur. Les séquelles de cette tempête m’ont conduit à me méfier des constructions de l’esprit et des poursuites intellectuelles : trop de mots, pas assez d’énergie. La brièveté du haïku a séduit mes capacités limitées; de plus, l’aspect plein air suggéré par le haïku était vivifiant. Grâce à ce qui devenait une discipline quotidienne, mes «promenades en haïku», je me suis doucement rouvert aux sensations et aux pensées. Plus j’étais attentif, plus j’engageais la réalité à travers le haïku, et plus il me devenait facile de reconnecter avec la beauté continuellement surprenante de ce monde. Grâce à cette attention, les expériences qui m’étaient source d’inspiration se révélaient d’elles-mêmes.

J’expérimentais avec la poésie depuis quelques années déjà, mais avec le haïku, je vivais les poèmes de manière beaucoup plus directe. La transposition de ces petites «épiphanies» redonnait lentement sens à tout le reste.

Le projet dont proviennent les extraits suivants n’est ni un commentaire théologique, ni une œuvre apologétique ou prosélyte, ni un outil ascétique, ni une séance de thérapie, ni un traitement synthétique du Psautier ou pire: les poèmes ne sont pas des substituts ou des ajouts aux Psaumes. Ils sont des poèmes sur les Psaumes, ni plus ni moins. 

Chaque haïku est précédé d’un court paragraphe – où le haïku devient haïbun. Cette forme du haïbun ajoute un bas-relief à chaque passage et permet de relier nos contextes contemporains à ceux du Livre des Psaumes. Les nombres renvoient aux Psaumes qui ont inspiré chacun de mes poèmes.

Les Psaumes nous plongent profondément dans et flottent bien au-dessus de la nature humaine. Par conséquent, aborder les Psaumes à travers le haïku, même le haïbun, est un défi redoutable. Le haïku évite le domaine surnaturel, préférant plutôt le monde naturel comme les organismes vivants, les éléments, les phénomènes saisonniers, etc. Cependant, comme les Psaumes traitent du naturel et du surnaturel, les haïkus offerts dans ce recueil traitent nécessairement des deux types d’expériences, naturelles et surnaturelles.

Un défi auquel j’ai fait face en travaillant sur depuis la garde du matin était la différence dans le traitement du temps entre le haïku et les Psaumes. Alors que le haïku traditionnel se concentre sur le moment présent, le style narratif des Psaumes leur accorde une plus grande «mobilité temporelle». Je tiens à remercier le Dr David Bradshaw, qui a partagé comment certains Pères grecs comprenaient le temps comme une activité ou énergie divine, dont nous faisons l’expérience. Cette explication m’a aidé à conceptualiser, en début du projet, un rapprochement entre les Psaumes et le haïku.

Le haïku m’a permis de me concentrer sur certaines des dimensions et certains des horizons de la réalité tracés dans les Psaumes. Comme si quelqu’un m’avait réveillé, juste à temps, pour la garde du matin.

1

Tirer la Terre vers le ciel demande un effort lent et soutenu. Est-ce plus difficile de faire descendre le soleil dans les fruits ? Savait-elle qu’elle faisait la meilleure tarte aux pommes ?

le vent souffle
la paille au-delà de la vue
sois un arbre

7

Le poids était là; une vraie tonne. La dynamique avait persisté pendant des années et tout ce que j’avais à faire était de l’exposer. Ne méritais-je pas cette douce vengeance, après tant de coups? Qu’importent quelques mots de toute façon ?

Je ne peux plus supporter ce poids - je m’engouffre.

arcs tendus
les épées scintillent
au-dessus de mon trou

10 (11)

L’appel vient de cette terre, où l’argile devient vie. Je devrais ressentir cela plus souvent ; cet «appel créé». Où les monts parlent des exploits des héros passés, où les arbres anciens font de l’ombre à la brûlure des pertes amères et où les rivières regorgent de la rage de vie adolescente. Ils disent tous - toi aussi tu es d’ici.

En cet endroit, tu peux te mettre à l’abri.

ciel sans lune
le feu du Seigneur
illumine les flèches

17 (18)

La vie dans les prairies canadiennes présente un grand avantage : il n’y a pas de volcans. L’éruption du Vésuve à Pompéi porte un poids mythologique encore ressenti, par les gens du monde entier, près de 2 000 ans plus tard. Au fil des années, j’ai appris à apprécier les champs de blé qui ondulent dans le vent, balayant une terre vaste et plate. De fait, il est difficile de se représenter la fondation de la Terre par un Dieu furieux chevauchant un chérubin et projetant des flammes, dans le contexte d’une prairie percée de trous, travail assidu de petits chiens de prairie.

des charbons ardents 
tombent sur la Montagne Sainte
les mains toutes propres

18 (19)

«Il me semble que la misère serait moins pénible au soleil.» - Charles Aznavour. Trouver cette essence de vie, cette énergie apparemment éternelle qui, depuis la limite du temps et de l’espace, nous trouve. Surtout dans un climat nordique, où la matière compte peut-être davantage, pourquoi voudrais-je me cacher de cette chaleur vitale ?

pureté de l’âme
aucun abri loin de son
tabernacle solaire

24 (25)

La confiance va et vient comme la marée, parfois haute, parfois basse selon l’endroit où nous nous trouvons. Les marins gardent un œil scrupuleux sur les horaires des marées pour ne pas se faire prendre à sec. Puissé-je être un navigateur du cœur, conscient de la douleur et de sa lune qui attire ou relâche ma confiance en autrui.

pris à marée basse
les pieds enfoncés
pardonne-moi

41 (42)

Montréal est une capitale du divertissement. Des millions de personnes du monde entier se rassemblent chaque année dans ses rues et ses clubs pour regarder et écouter.

Les murs de la Basilique Notre-Dame, eux, pleurent en multimédia.

sons de festival
au sommet de la montagne
l’abîme appelle l’abîme

54 (55)

Pendant des années, j’ai désiré vivre dans la grande ville, où les clubs de jazz, les cinémas répertoire et les festivals de théâtre nous tiennent éveillés. J’y ai vécu quelques années. La vie en grande ville est fatiguée le matin, après avoir vendu des rêves toute la nuit. Les prêteurs sur gages, quant à eux, ne dorment jamais.

seuls les prêteurs sur gages
sont ouverts ce matin
des ailes usagées

55 (56)

Dans son roman saisissant intitulé Alexandria, Paul Kingsnorth utilise l’imagerie antique et païenne de cadavres hissés sur les branches d’arbres, offerts en collation aux vautours. Les personnages centraux, seuls survivants d’une civilisation post-humaine, tentent de se rendre au sanctuaire mythique, loin des bêtes sauvages et de l’IA, aussi sournoise qu’intemporelle.

S’en sortiront-ils ?

ils observent pour attraper
ma chair piétinée
Il est là

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Les artisans de ce numéro

Auteur·e·s :

  • Claudine Audette-Rozon
  • David Baudemont
  • Estelle Bonetto
  • Mychèle Fortin
  • Ian C. Nelson
  • Danièle Petit
  • Sébastien Rock
  • Véronique Sylvain
  • Gilbert Troutet
  • Jocelyne Verret
  • Gisèle Villeneuve

Artiste invitée :
Sharon Pulvermacher

Coordination de la publication :
Sébastien Rock

Comité d’édition :
David Baudemont, Jean-Marie Michaud, Ian C. Nelson, Jean-Pierre Picard, Sébastien Rock

Comité de lecture :
Marie Galophe, Michel Marchildon, Martine Noël-Maw

Webmestre et mise en page :
Jean-Pierre Picard

Parrainage et hébergement du site:
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