À ciel ouvert 13 — Automne 2024 / Hiver 2025

Jeffrey Klassen

Prendre sa plume sur la voie de l’éveil : à la quête d’un sens plus profond

Jeffrey Klassen

Jeffrey Klassen

Jeffrey est chargé de cours dans le Département de linguistique et le Département des langues, littératures et études culturelles de l’Université de la Saskatchewan. Il est également président du Collectif d’études partenariales de la fransaskoisie.

Les deux derniers numéros de notre revue ont solidement ancré notre présence dans les communautés littéraires du Nord et de l’Ouest canadiens, grâce à des thèmes explorant la géographie humaine et le mouvement à travers des univers internes et externes. L’énergie des nouveaux regroupements, tels que le Regroupement des écrivain·e·s du Nord et de l’Ouest (RÉNOC), se construit une rencontre à la fois, tissant des liens humains précieux au fil du temps.

Une foi commune dans le pouvoir de la littérature francophone

La recherche d’Emmanuelle Rigaud met en lumière un véritable écosystème littéraire en constante évolution. Nous invitons nos lecteurs à consulter son compte-rendu, qui met en évidence une urgence palpable au sein de nos communautés littéraires : un besoin pressant de connexion, de collaboration, de structuration – et une pulsion irrépressible de création.

En réfléchissant au thème de ce nouveau numéro, nous avons voulu mettre en valeur l’effervescence joyeuse qui anime notre collectivité, et ce, même au cœur de l’hiver alors qu’un repliement hibernal peut se révéler source de création. Cette réflexion nous a conduits à poser une question centrale : qu’est-ce que la littérature peut éveiller en nous? De la joie d’une évasion dans un monde fictif ou poétique à une conscience plus profonde de soi et de l’autre, nous étions convaincus que notre appel à textes susciterait des réponses inspirées. Nous sommes heureux de vous présenter les choix de notre comité de lecture.

Une poésie qui éveille notre véritable nature

Dans Poème nocturne de ioleda, écrivaine résidant au Yukon, la simplicité de la nature devient une source d’éveil. Pourtant, le soleil de minuit projette une image plus paradoxale : celle d’une « conscience éveillée – encore somnolente ». Ce début du numéro, tout en douceur, établit le lien entre cycles naturels et créatifs ayant inspiré son thème.

Serait-ce le même soleil qui se reflète sur les « voiles blanches » du Voyage de Jonas Desrosiers (Manitoba)? Cette « lumière, étrange et douce », se mêle au vent, emportant le lecteur vers la mer profonde, « prête à le porter, prête à le comprendre ». La vie se présente comme un beau voyage, même à sa fin.

Enfin, les vagues de la mer deviennent les plis réceptifs de la vallée de la Qu’Appelle, en Saskatchewan, où la poétesse fransaskoise Hélène Ouédraogo tisse, dans un chant rythmique s’intitulant Errements, des liens conciliant sa culture natale du Burkina Faso et celle des terres du bison. Certes, le point commun est une douleur partagée, un éveil de conscience à l’injustice.

Une littérature qui éclaire notre intériorité

Certains textes évoquent une éclosion au sein de l’individu, comme en témoigne la fiction d’Anne-Marie Turcotte (Manitoba). Le Fatboy de Dairi-Whip illustre la nouvelle génération de la francophonie manitobaine, où l’anglais et le français « font partie [d’elle] à parts égales, comme le yin et le yang ». L’amour de sa culture se savoure avec sensualité, notamment en croquant dans un hamburger juteux.

Une jouissance similaire est refoulée par la culpabilité religieuse dans L’éveil d’une pécheresse en bonne et due forme, où la narratrice évoque, avec une innocence enfantine, les corps masculins qu’elle découvre dans le catalogue Eaton. À travers ce récit nostalgique, Cécile Girard, du Yukon, dresse un portrait sincère et empreint d’humour de l’enfance vécue en francophonie canadienne au XXe siècle.

Enfin, la poésie de Serge Ben Nathan (Colombie-Britannique) réduit, par le feu de la passion, tout espoir d’une vie monastique en cendres. Un amour urgent et pénétrant naît au cœur d’Abélard, ce moine du XIIe siècle qui, face aux entraves de ses croyances, déclare : « Je ne peux plus attendre ». Tel est L’éveil d’Abélard.

Découvertes insolites à travers des personnages féminins

La fiction a le pouvoir de nous éclairer sur des mondes qui nous sont inconnus, en jouant sur l’absurde ou l’étrangeté afin de subvertir nos attentes. Ainsi, nous pénétrons les pensées « du genre de personne dont la planète [n’a pas] envie », comme Grande Tante Lucie. Ce personnage de la nouvelle éponyme de Joëlle Boily (Colombie-Britannique) ne manque pas de susciter un malaise chez le lecteur, une morbidité singulière, presque délectable, que l’autrice sait si bien créer dans ses œuvres.

Dans cette même veine, Amber O’Reilly (Territoires du Nord-Ouest) nous offre un premier extrait de sa pièce en chantier, Ébréchée, qui invite le lecteur à s’approcher d’un esprit atypique, d’un « imaginaire ébréché » qui dévie des normes psychologiques. Ici, le féminisme occupe une place centrale, comme l’a observé l’une des lectrices, sans connaître le genre de l’autrice : « seule une femme aurait eu l’idée d’inclure l’inventrice du lave-vaisselle. »

Enfin, c’est un personnage féminin, venu de loin, qui nous transmet une sagesse aux sons étrangers, des « discours remplis de parfums et de saveurs, de musique et de lumière », dans Réparer le monde. À travers sa fiction, Michèle Smolkin (Colombie-Britannique) reconstruit une histoire personnelle dans un éveil au combat des femmes, nous rappelant que « [l]es dictateurs n’aiment pas la vie. Ils interdisent tout ce qui la célèbre ». Parfois, la joie devient notre seul recours, une forme de « revanche » contre l’injustice autoritaire.

Retour à la source fraîche de la Saskatchewan

Notre revue, désormais ouverte à un vaste réseau qui dépasse les frontières provinciales et territoriales, trouve cependant ses racines au sein d’un groupe d’écrivains résidant à Saskatoon. Dans un numéro récent, nous avons rendu hommage à Ian Nelson, l’un de ces Fransaskois visionnaires qui ont fondé cette revue, inspirée par l’immensité du ciel des prairies saskatchewanaises.

Ce lien s’est renforcé en 2021 grâce à un partenariat avec un groupe de chercheurs de l’Université de la Saskatchewan : le Collectif d’études partenariales de la Fransaskoisie (CEPF). Cette collaboration avec le milieu académique a permis à la revue de bénéficier d’un soutien précieux pour l’organisation de plusieurs conférences et lectures littéraires.

Bien que notre mandat se soit élargi à d’autres territoires, nous restons profondément ancrés dans le territoire visé par le Traité numéro Six. À partir de ce numéro, un Volet Saskatchewan sera intégré à chaque édition, mettant en lumière des œuvres créées par des francophones résidant dans notre province d’origine qui trouveront certainement écho dans les autres terres du Nord et de l’Ouest canadiens.

Allez, enseignez toutes les nations : racines et réflexions conciliatoires

Dans le Volet Saskatchewan de ce numéro, nous avons le plaisir de présenter un récit poignant de la Fransaskoise Madeleine Blais-Dahlem, qui saura bouleverser notre lectorat par l’exploration intime d’un personnage féminin, dans la lignée de ceux présentés dans la section précédente. Allez, enseignez toutes les nations s’attache à dévoiler le monde intérieur d’une religieuse en fin de vie, alors qu’elle revisite ses souvenirs de travail dans un pensionnat pour Autochtones en Saskatchewan.

Bien que ce sujet soit difficile, il demeure essentiel : il interpelle le lecteur allochtone sur sa complicité implicite dans certaines des atrocités les plus sombres de notre histoire. Nous espérons que ce texte éveillera en chacun de nous une conscience plus éclairée et un désir renouvelé de réconciliation.

Nous invitons notre lectorat à découvrir une véritable joie – ou plutôt des joies – à travers les textes lauréats du Concours littéraire de création littéraire de l’Ouest et du Nord canadiens (CCLONC) 2024, qui se rassemblent autour de ce thème euphorique. Ce sont un peu ces bonheurs littéraires qui nous ont éveillés à notre propre thème, et les textes s’insèrent parfaitement dans ce treizième numéro.

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31
125 ans de francophonie au Yukon
RÉNOC 2024-25
RAFA-ACO-10-2023

Créations

Poème nocture Poème nocture

Au moment de vivre une nouvelle période du soleil de minuit au Yukon, il y a la beauté, mais aussi l’angoisse de cet éveil qui ne veut pas s’endormir.

Le voyage Le voyage

Ce poème explore le parcours intérieur d'un jeune homme partant d'un petit village agricole vers une quête de soi. À travers les métaphores de la navigation en mer, le poème illustre les défis et les révélations auxquels il est confronté. 

Errements Errements

J’atteindrai Qu’Appelle Valley, et ma voix éteinte soufflera  / Mon peuple souffre et mon âme est en berne.
Nous les retrouverons, nous les rassemblerons / Tous ces perdus de la forêt, du désert et de la méditerranée. 

 

Le Fatboy de Dairi-Wip Le Fatboy de Dairi-Wip

Après avoir fait ses études dans une université prestigieuse de l'Est, la narratrice revient chez elle, à Saint-Boniface, et pose un regard nouveau sur sa culture franco-manitobaine. Elle se rend compte de tout ce qui lui a manqué même si elle ne voyait pas la chance qu'elle avait à 18 ans.

L’éveil d’une pécheresse  en bonne et due forme L’éveil d’une pécheresse en bonne et due forme

Ce récit témoigne de l'influence de la religion sur une période de vie précise. Il raconte la lourdeur et l'inconfort et comment les jeux des enfants offrent souvent une porte de sortie devenant une issue de secours. 

Grande tante Lucie Grande tante Lucie

Morcelée par le passage des années, l'ardeur renaît chez Grande Tante Lucie alors qu'elle prodigue des soins aux pensionnaires du Centre de l'Éveil. Passionnée de médecine et de couture, elle tissera la courte-pointe de ses talents en passant d'une aiguille à l'autre.

Ébréchée (extrait) Ébréchée (extrait)

Pièce en chantier se déroulant principalement aux Territoires du Nord-Ouest. Les temporalités confondues illuminent les liens entre l'obsession du trouble obsessif compulsif, la charge mentale, et la nature comme agent de libération. 

Réparer le monde Réparer le monde

Dans un petit village isolé de la côte Nord-Ouest du Pacifique, une femme mûre venue de très loin transmet le récit de son peuple qui lutte avec courage contre la tyrannie de ses dirigeants. 

« Allez, enseignez toutes les nations » « Allez, enseignez toutes les nations »

Si les faits historiques de ce monologue sont réels, la narratrice est fictive. Religieuse centenaire, elle fait un retour sur son rôle au sein des écoles résidentielles pour autochtones. 

La ferme La ferme

Premier prix dans la catégorie prose du CCLONC 2024

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Les artisans de ce numéro

Coordination de la publication :
Jeffrey Klassen

Comité de rédaction :

  • Marie-Diane Clarke
  • Tania Duclos
  • Mychèle Fortin
  • Lyne Gareau
  • Jeffrey Klassen
  • Jean-Pierre Picard

Auteur·e·s :

  • Serge Ben Nathan (C.-B.)
  • Joëlle Boily (C.-B.)
  • Marie Carrière (AB)
  • Louise Dandeneau (MB)
  • Mélanie Fossourier (C.-B.)
  • ioleda (YK)
  • Amélie Kenny Robichaud (YK)
  • J. R. Léveillé (MB)
  • Gaël Marchand (YK)
  • Zoong Nguyên (AB)
  • Seream (MB)
  • Michèle Smolkin (C.-B.)

 

Artiste invitée :
Virginie Hamel
virginiehamel.com

Mise en page et mise en ligne :
Jean-Pierre Picard

Merci à l’Association des auteur·e·s du Manitoba français qui a piloté l’organisation du Concours de création littéraire de l’Ouest et du Nord canadiens (CCLONC).

La revue À ciel ouvert est publiée et diffusée par :

Coopérative des publications fransaskoises

en partenariat avec

Collectif d'études partenariats de la FransaskoisieRegroupement des écrivains·e·s du Nord et de l'Ouest canadiens


Merci à nos commanditaires:

    Conseil culturel fransaskois   Saskculture Fondation fransaskoiseGouvernement du Canada