Straight Jacket Winter à Saskatoon: une soirée intime et magique
Straight Jacket Winter: Esther Duquette et Gilles Poulin-Denis
On lit le programme de Straight Jacket Winter par Esther Duquette et Gilles Poulin-Denis et on s’étonne en notant combien d’artistes dans plusieurs disciplines ont contribué pendant des années à cette création. C’est un spectacle très intime qui met surtout en relief la complicité entre les auteurs et leurs interprètes-sosies Julie Trépanier et Frédéric Lemay.
Il suffit de repasser tous les éléments merveilleux de la soirée qui marquent le trajet, du premier moment dans la salle quand le public fête la fin de l’année 2010 avec le quatuor en chapeaux cornet-fantaisie au dernier moment sublime où un paysage urbain illuminé se révèle finalement « home » pour ce couple de Canadiens errants.
Une partie de l’émerveillement réside dans les conceptions sonore et visuelle qui transgressent la ligne usuelle entre le jeu et la technique, car Duquette et Poulin-Denis partagent la scène avec les interprètes en leur fournissant de la musique sur vinyle, des appels cellulaires, des accessoires et un écran où la suite des images se fait simplement à la main, à la vue du public.
Face à ce public les auteurs racontent au micro la chronologie de leur choix de quitter Montréal pour poursuivre leurs vie artistique à Vancouver où les langues privilégiées sont l’anglais, le mandarin, le punjabi (et j’en passe), mais justement pas le français. Et puisqu’elle n’est pas immigrante d’un autre pays, Duquette n’a même pas le droit à des cours offerts gratuitement dans l’autre langue officielle. Dans leur petit logement le couple crée alors des jeux de dictionnaire et essaie de se parler en n’employant que des voyelles. Le temps passe. Il y a encore des moments de comédie franche -- maligne et hélas bien reconnaissable -- quand le couple fait face à des barrières culturelles dans sa ville d’adoption, ou trouve qu’il n’est pas facile non plus de reprendre une ancienne vie et de garder des relations à distance.
Plusieurs éléments assurent le succès de ce spectacle. D’abord il y a la simplicité des constats quotidiens de plusieurs déménagements et des ajustements dans les relations qui s’ensuivent. Malgré une matière centrée sur la parole, c’est une production qui n’a peur ni du silence ni de l’espace où un simple regard en dit long sur une situation. S’ajoute à cela une chorégraphie on ne pourrait plus expressive : dans son appartement le couple fait face à des hauts et des bas, fait l’amour à plusieurs étapes et vire sérieusement fou (franchement « stir-crazy ») à cause de l’isolement, avant de se reconnaître dans une résolution ludique (très bien préparée pendant toute la soirée). Tout finit dans l’illumination enchanteresse de la ville en miniature, féériquement touchante.
Il y a une intimidation inhérente à devoir incarner un personnage vivant. Que dire de la responsabilité rehaussée et agrandie géométriquement quand les personnes en question se trouvent non seulement dans la salle, mais sur la scène avec vous, à portée de main avec vos accessoires et leurs propres voix et mécanismes théâtraux! Pourtant il n’y a point d’inquiétude à cet égard dans la présentation de Straight Jacket Winter, car Julie Trépanier et Frédéric Lemay prennent un plaisir palpable à partager la scène avec les auteurs. Et le public en profite, gâté d'avoir le privilège d’apercevoir dans la pénombre les réactions d’Esther Duquette et de Gilles Poulin-Denis réagissant à chaque étape de leur trajet auto fictif.
En quittant Straight Jacket Winter je me suis demandé si je venais d’assister à un coup collectif de génies ou à un coup de génie collectif tellement l’écriture à deux, la présentation à quatre et la contribution d'une douzaine d’artistes se trouvent soudée dans une magie singulière.
Ian C Nelson
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