Dieu... ça ne mène pas toujours où on pense
Mychèle Fortin (Saskatchewan)
MACKASEY – The late Victor Wolverine
30’’ h x 22’’ l - Huile sur toile de lin, 1994
Crédit de photo : Michèle Mackaseyl
Impossible de rouler sa bosse, impossible de vivre sa vie, sans, de temps en temps, penser à Dieu. Penser à ce qu’on pense de Dieu.
J’ai grandi à Ottawa, dans la lumière catholique et dorée des années cinquante. Petite, je ne doutais ni de moi, ni des autres, ni de Dieu. Avec qui je m’entretenais régulièrement. J’aimais bien les églises. Et les prêtres. Tous les samedis en me rendant à ma leçon de piano, je m’arrêtais à l’église pour jaser avec monsieur le curé. Dans la sacristie, nous pliions des bulletins paroissiaux, il me donnait des retailles d’hostie, je lui racontais ma vie.
Comment faisait-il pour m’endurer? Je gazouillais sans arrêt. Et je posais des questions. « Mon cousin m’a montré son pénis. Est-ce que c’est un péché »? « Je veux être un Père blanc d’Afrique, mais mon père dit que c’est pas possible parce que je suis une fille. Pourquoi les filles peuvent pas être des Pères blancs d’Afrique »? (J’ai appris beaucoup plus tard que ce prêtre dominicain avait défroqué. Aurais-je contribué à semer le doute?)
À l’aube d’un matin d’automne. J’ai sept ans. Je me réveille avec l’envie d’aller à la messe. Je m’habille, sors de la maison sans faire de bruit. Le jour se lève à peine. Les rues sont désertes. Je me rends à l’église que nous fréquentons, l’église Saint-Jean-Baptiste. Les portes sont barrées. Tant pis. Je me rends jusqu’à une autre église, luthérienne ou anglicane je ne sais plus, mais « anglaise » en tout cas. Ça n’a pour moi aucune importance. Mais les portes de celle-ci sont barrées, elles aussi.
Déçue, je retourne lentement vers chez-moi. Une voiture de police s’arrête à ma hauteur. Le policier me demande gentiment ce que je fais là. Je lui réponds que je voulais aller à l’église, mais qu’elles sont toutes fermées. Il me demande où j’habite et propose de me raccompagner. Je dis « OK ».
La tête de mon père lorsqu’il ouvre la porte et me trouve en compagnie d’un agent de police. Peu après, celui-ci repart, perplexe, mais rassuré. Tout aussi perplexe et visiblement secoué, mon père me demande ce que je veux pour déjeuner. Il n’avait pas eu le temps de se rendre compte que je n’étais pas dans mon lit.
Je ne sais plus ce que j’ai mangé. Mais pendant qu’il s’affairait, je me suis mise au piano, pour le rassurer.
***
Plus tard, j’ai cessé de fréquenter les églises et de converser avec un Dieu auquel je ne croyais plus. Pendant quelques décennies je n’y ai même pas pensé.
Et puis, un jour, alors que tout était sombre, que je ne tenais à la vie que par un fil, j’ai voulu y croire. Je me disais qu’il devait être réconfortant de croire qu’un être tout-puissant vous écoute toujours, qu’il (ou elle, ou iel, qu’importe) pardonne tout. Réconfortant de croire que la souffrance est récompensée et que le mal est puni. Quand on se sent en queue de peloton, il est consolant de croire que « les premiers seront les derniers et les derniers seront les premiers ».
À la recherche de Dieu donc. Je ne l’ai pas trouvé. Cependant, j’ai trouvé sur ma route des hommes et des femmes de foi absolument remarquables. Inspirants. Érudits. Généreux. J’ai trouvé chez certains une qualité d’écoute que je ne croyais pas possible. Les longues marches et moult conversations avec le jeune curé d’une paroisse d’Outremont ont largement contribué à ma survie. De temps à autre, il me suggérait d’assister à une messe. Je disais que non, que je n’étais pas prête, que je n’étais pas sûre. Ce à quoi il répondait invariablement : « l’Église a besoin de gens qui doutent ».
Il s’appelait (et s’appelle toujours) Pierre. Quand je pense à ce prêtre, devenu évêque, j’éprouve une immense gratitude. Le souvenir de certains de nos échanges me fait encore rigoler.
Je sais qu’il existe au sein des communautés religieuses des êtres abominables. J’ai eu la chance de ne jamais croiser leur route.
***
Ma quête m’a menée à plusieurs reprises au Honduras. Où j’ai eu le privilège de me lier avec un être d’exception. Un père des Missions-Étrangères, montréalais de naissance et hondurien d’adoption, qui avait imaginé et fondé le Centre de spiritualité El Tabor/Las Tres Rosas, lieu de retraite et de formation, niché dans une vallée où les cactus et les pins se rencontrent et se mêlent. De ce lieu que j’ai tout de suite aimé il disait : « C’est une sorte de monastère ouvert aux laïcs qui eux aussi ont besoin d’outils, de lieux pour approfondir le sens de leur vie, connaître leur être véritable ».
Pourtant, la première fois que je l’ai vu, à l’aéroport de Tegucigalpa, il m’a semblé ordinaire. Pas très grand, pas très bien habillé, quelconque. On m’en avait dit tant de bien, on m’en avait parlé avec tellement d’admiration, je fus déçue. C’est lui? C’est tout?
Je dis « la première fois que je l’ai vu », mais en fait, je ne l’ai pas vu. Pas vraiment. À l’époque je ne « voyais » pas. Mon regard effleurait les gens et les choses. J’étais affligée d’une myopie du cœur mais je ne le savais pas. C’est lui qui me l’apprendrait.
Au fil des jours, des rencontres, j’ai commencé à le voir. À trouver beau son regard. Vif, intelligent, rieur, empreint d’une bonté infinie. Parfois, je l’observais, en retrait. Je le revois, appuyé contre un arbre, entouré (il attirait les gens, hommes, femmes et enfants, comme le miel attire les ours), ou marchant en se recueillant.
Il était d’une élégance qui n’appartient qu’à ceux qui ont l’âme en paix, avec une démarche un peu raide. Raideur qui s’expliquerait plus tard quand tomberait le verdict du Parkinson.
Après l’avoir trouvé quelconque, j’ai fini par le trouver magnifique, par admirer ce visage qu’on aurait dit sculpté dans la pierre, admirer la simplicité, la détermination, l’intelligence. Moi qui avais l’âme malade, il m’a ouvert la sienne. Avec moi qui n’étais que doutes et questionnements, il a partagé ses doutes et ses questionnements.
Parfois, quand mes doutes l’ébranlaient, il me regardait quelques instants, s’emparait de son bréviaire, se levait et se dirigeait vers la chapelle en me disant : « Faut que j’aille parler au Boss ».
Comment oublier ce matin où il fit irruption dans ma chambre. « J’ai besoin de toi à la messe. Je sais que t’aimes pas trop ça, mais là on a des visiteurs québécois pis ça fait tellement longtemps que j’ai pas célébré la messe en français, j’ai peur d’en oublier des bouts. Tu vas suivre et si j’oublie, tu me souffleras ». J’y suis allée. Je n’ai pas eu besoin de souffler. Des fois, je me dis que c’était une ruse.
Nous avons beaucoup ri. Maintenant qu’il n’est plus là, que la mort a bien voulu mettre fin à ses souffrances, c’est ce qui me manque le plus, nos rires. Lui aussi s’appelait Pierre. Padre Pedro. C’était mon ami.
Parfois, je pense comme Brassens qui écrivait dans son journal : « Ça m’emmerde que Dieu n’existe pas ».
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