Scènes de métro
Mychèle Fortin (Saskatchewan)
Michel Saint-Hilaire — Lumières
Peinture acrylique sur toile, 20 par 40 pouces, 2018
I – Quand il y avait encore des cabines téléphoniques
Métro Berri
Vendredi soir tard
Avez-vous de la monnaie, madame?
Il est tout seul, il est beau
Quatorze ans, quinze à tout casser
Ta mère sait où tu es?
Il me regarde, interloqué
Je te donne des sous pour l’appeler
Après je t’en donne un peu pour toi
Il prend l’argent et téléphone
Quelque part une mère répond
Quelque part une mère est rassurée
C’est fou tous ces grands enfants qui
Traînent dans les stations de métro
II – Quand il n’y avait plus de cabines téléphoniques
Métro Charlevoix
Late on another Friday night
Riding up the escalator
Voices loud and young coming from above
The escalator stops. Laughter.
I see two girls and three boys
They’ve pushed the STOP button
They are five
Yet they are so alone
“Nothing better to do on a Friday night?
Sad, so sad”.
Was sure they’d tell me to fuck off
But they fell oh so silent
Is it a sign of the times, all the weary and lonely teenagers
Hanging out in metro stations?
III – Réflexion vestimentaire
Métro Beaubien, tôt un froid matin
Il n’y a personne
Arrivent deux très jeunes femmes
La première est vêtue d’un hijab et d’une abaya
Ce long manteau ample que portent des femmes musulmanes
La seconde est vêtue d’une mini mini-jupe
D’un chemisier trop serré et trop mince pour la saison
Elle est juchée sur de hauts talons
La première dégage une impression d’assurance
La seconde bouge sans arrêt, mal à l’aise
Tire le bas de sa jupe, tire le bas de son chemisier
Grelotte sur ses talons hauts
Le calme de l’une
La nervosité de l’autre
La force de l’une
La vulnérabilité de l’autre
Laquelle est la plus libre?
Je me dis que si j’avais une fille
La première me rassurerait
La deuxième m’inquièterait
Certes, je ne deviendrai pas musulmane
Et j’ai passé l’âge des mini-jupes
Mais plus jamais je ne regarderai le hijab d’un œil condescendant.
IV – Petit bonheur montréalais
Métro Peel, un matin d’été
On est samedi, il fait beau
Je sors de la station de métro
Le centre-ville est désert
Au loin, de la musique, des notes de piano
Je suis les notes
Jusqu’à l’intersection McGill-Sainte Catherine
Il y a là un homme qui chante en s’accompagnant au piano
Il chante « Hallelujah » de Leonard Cohen
La voix est superbe, on en oublie
l’accompagnement médiocre
Je souris au musicien
Il me sourit à son tour
Je cherche du regard où laisser des sous
Il me dit qu’il fait ça pour le plaisir
Pas pour les sous
Je pense aux moules que je vais déguster plus tard
à la Moulerie d’Outremont
Je pense qu’à ce moment
J’aime Montréal
V – Petite tristesse montréalaise
Métro Place des Arts
Tard
Je suis pressée, affamée, fatiguée
Le dépanneur est fermé
Il n’y a personne
Enfin, presque personne
Assise sur un sac de couchage sale
Pas très loin du guichet
Une femme sans âge
Une Autochtone encore belle
On voit de plus en plus de femmes autochtones
Sans abri
Pourquoi échouent-elles ici?
Je m’approche
Lui donne un peu d’argent
Elle me sourit
J’aimerais lui parler
Je ne sais pas quoi dire
A-t-elle peur?
Je la quitte, la honte au cœur
Pour aller prendre le dernier métro
Je pense qu’à ce moment
Je n’aime pas Montréal
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