Mise en scène
Estelle Bonetto
Illustration : Sharon Pulvermacher
Les trois coups
Le marché s’éveille, il est 5 heures dans l’arène.
Le rideau se lève sur les vies abattues,
les cris des marchands s’élèvent dans les rues,
les pieds des passants piétinent les pavés encore nus.
Tous les acteurs, les actifs, les passifs,
s’activent en un brouhaha festif.
Le rideau frémit
Les halles se déploient à pleins poumons,
déversent leurs entrailles sur les passants en quête d’abandon.
Les étalages dégoulinent sous le poids des marchandises
qui gisent à leur guise.
Elles s’offrent sans pudeur
au milieu des odeurs.
Didascalies
Les sens sont en spectacle
sur les saynètes montées en sellette.
Les péchés s’avouent déchus,
la main dans le sac repu.
Les victuailles débordent en trophée
des cabas chargés qui dévoilent leurs recrues dénudées,
et les couleurs exacerbées de notre orgueil démesuré.
Oraison funèbre
Les animaux morts ne rentreront pas chez eux ce soir, ni plus d’ailleurs les légumes et les fruits arrachés à leur terre ou à leur arbre. Ils ne reviendront jamais sucer la sève nourricière et s’abreuver des rayons ensoleillés. Ils ne gambaderont plus, la cuisse légère, à travers champs et pâturages. Ces créatures vivantes, autrefois vivaces, ont fait place à la nuit. Leur dépouille exposée à la vue de tous se marchande en offrande.
On se nourrit de la mort pour mieux vivre.
Les carcasses de poulet gisent au beau milieu des foies d’agneau gélatineux, des cervelles et des tripes, n’attendant que les charognards pour venir les dépecer. En chapelle ardente, les carottes et les navets deviennent flasques et fatigués, et devront se déshabiller de leur pelure pour retrouver un peu de leur fraîcheur perdue.
Le cortège funèbre défile tristement à travers la petite rue du marché où les croque-morts se donnent rendez-vous tous les jours pour choisir leurs cadavres exquis. Leur sang et leur jus couleront à flots et saliront les mains de leurs bourreaux avant de finir entassés dans un panier aux allures de cercueil. Personne ne portera le deuil. Les vies achevées en ce matin du mois de mai ne feront pas pleurer. Au contraire, la plupart se réjouiront du massacre, viendront se repaître de ces beaux restes, et s’arracher leur dernière dignité. D’aucuns n’auront de pensée pour les chairs écartelées, les racines arrachées, la bidoche broyée. Tous jubileront devant ce festin fallacieux, persuadés que la mort a bien bon goût.
Estelle Bonetto
Estelle Bonetto est rédactrice, traductrice et mère de trois magnifiques petits Fransaskois. Adepte de photographie et d'écriture, Estelle réside en Saskatchewan depuis bientôt deux décennies. Cette province aux ciels immenses et aux contrastes étonnants lui a toujours fourni un terreau fertile à son imagination et à sa créativité. L'écriture fait partie intégrante de sa vie, que ce soit sous forme de prose, de poésie ou d'essais, et elle se plait à explorer la fluidité des mots et des mouvements.
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