Horizons

Chronique littéraire publiée dans l'Eau vive

Leanne Tremblay

Nous sommes des immigrants, ou l’histoire oubliée de l’immigration chinoise au Canada

Dans son exposition Nous sommes des immigrants : Les difficultés cachées et l’héritage des immigrants chinois au Canada, présentée à la Maison du lieutenant-gouverneur de la Saskatchewan jusqu’au 25 septembre, l’artiste Raeann Kit-Yee Cheung explore une histoire aussi riche que méconnue.

Pendant la pandémie de COVID-19, Raeann Kit-Yee Cheung a dû faire face comme bien d’autres au décès de l’une de ses proches : sa mère. En deuil, la Sino-Canadienne a commencé à s’interroger.

« Je repensais au moment où ma famille est arrivée au Canada, au milieu des années 1970. Je me souvenais qu’il y avait eu des périodes très difficiles. Je me suis demandé ce que ma mère avait ressenti. Finalement, j’ai commencé à réfléchir à l’expérience des immigrants chinois arrivés un siècle avant nous. »

Aujourd’hui installée dans le sud de l’Alberta, Raeann Kit-Yee Cheung est photographe diplômée de l’Université Falmouth. Nous sommes des immigrants est sa première installation intégrant aussi fortement l’histoire à sa démarche artistique.

« J’ai commencé ce projet en 2020, pendant mes études supérieures. Je n’avais aucune idée de l’ampleur qu’il allait prendre. C’était peut-être une bonne chose que je ne connaisse pas encore bien l’histoire des immigrants chinois, sinon j’aurais peut-être choisi un autre sujet. Je ne m’attendais pas à devoir faire autant de recherches ! »

Une histoire cachée

L’exposition explore les souffrances souvent invisibles des premiers immigrants chinois, dès le milieu des années 1800, tout en célébrant leurs contributions et les liens qu’ils ont tissés au Canada.

L’exposition dévoile une histoire souvent absente des manuels scolaires. Elle dépasse ainsi les rares références habituelles, comme le rôle important joué par les immigrants chinois dans la construction du chemin de fer Canadien Pacifique ou encore le tristement célèbre certificat de taxe d’entrée (Head Tax).

La contribution des premiers immigrants chinois au Canada est qualifiée par l’artiste de « révolutionnaire » à plusieurs égards.

« Terminer la portion la plus périlleuse du chemin de fer, influencer les politiques d’immigration en faveur de l’équité, aider leurs voisins en leur accordant des crédits en magasin, se porter volontaires pour défendre un pays peu accueillant… Ce ne sont là que quelques exemples de la manière dont les immigrants chinois ont contribué à leur pays d’adoption. »

Les archives du gouvernement fédéral se sont révélées riches en informations pour alimenter l’exposition.

« Le gouvernement voulait suivre les mouvements des Chinois. Beaucoup d’efforts ont été consacrés à les documenter : qui arrivait, qui repartait, qui faisait venir qui, etc. »

Les archives personnelles, en revanche, étaient plus difficiles à obtenir. « Une fois que quelqu’un acceptait de me parler, il voulait tout me raconter et tout me montrer. Mais j’ai dû accepter qu’il y aura toujours des gens qui préfèrent ne pas partager. »

L’exposition aborde cette tendance à l’évitement, présente depuis longtemps chez les Sino-Canadiens, et exacerbée par la pandémie et la recrudescence des sentiments anti-asiatiques.

Une mise en lumière

En tant que photographe, Raeann Kit-Yee Cheung a naturellement intégré des images d’archives dans son installation, qu’elle a reproduites et modifiées pour révéler les expériences souvent tues des premiers immigrants chinois.

« Les marques de carbonisation symbolisent les innombrables décès non documentés dus aux accidents de construction », souligne-t-elle.

Et de poursuivre : « Les trous noirs évoquent la dépression et la solitude. Les éclaboussures représentent l’humiliation publique. Quant à la couleur jaune, souvent utilisée pour représenter les personnes d’origine asiatique, elle est ici réappropriée pour les célébrer et rappeler que la Confédération, la sécurité et l’économie canadiennes ont été renforcées grâce aux premiers migrants chinois. »

Pour illustrer ces propos, l’exposition prend l’exemple de Lee Chun, cuisinier à la Maison du lieutenant-gouverneur au début du 20e siècle pendant 23 ans, et dont le passage aura pourtant été inaperçu.

Une seule photo existe de lui, sur laquelle seule une moitié de son corps est visible. À part quelques phrases tirées d’histoires orales d’anciens employés de la Maison et ses documents d’immigration, peu d’informations subsistent sur son existence.

« Le fait que l’image le coupe en deux personnifie toutes les formes de discrimination, non seulement du passé, mais aussi du présent », commente l’artiste.

Raeann Kit-Yee Cheung souhaite continuer d’explorer l’expérience des immigrants dans son œuvre.

« Sauf les peuples autochtones, nous sommes tous des colons ou des descendants d’immigrants. Il est important d’y réfléchir avant de juger ou d’agir selon des préjugés. »

Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site web de l’artiste ou sur le site de la Maison du lieutenant-gouverneur.

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