À ciel ouvert 11 — Automne 2023 / hiver 2024

Eric Plamondon

Arc-en-noir

Éric Plamondon (Manitoba)

Nous nous retrouvons face à lui.

On a beau ériger des édifices,

Le vent trouve toujours son chemin.

Quand la fatigue nous saisit,

Pourrions-nous nous y accoter,

Afin qu’il nous soutienne?

Les gouttes d’eau tombent.

Et nous, nous activons les essuie-glaces,

Pour mieux voir le chemin.

Le pare-brise fait exploser les moments;

De nombreuses gouttes, seulettes.

Mais collectivement, elles dressent un feeling intégral.

Une histoire a besoin d’un arc narratif. 

Quelles couleurs aura mon arc à moi?

Je pleure de joie,

Je pleure, car on me fait mal.

Sous un nuage gris,

Qui se déverse sur nous;

Impossible d’apercevoir les nuances.

J’ai un nuage métaphorique au-dessus de moi,

Qui me garde sous l’ombre de mémère,

Elle qui savait qu’on n’était pas des sauvages,

Car nous n’étions pas des saoulons.

C’est une des choses qu’elle m’a dites,

Un verre de brandy devant elle.

Il faut écouter nos grands-mères.

Elles qui portent nos traditions, notre folklore.

Elles qui portent la sagesse des ancêtres.

Je vous salue Marie, 

Vous qui êtes bénie entre toutes les femmes,

Car le fruit de vos entrailles, 

Aurait pu me sauver,

Selon les histoires qu’on a écrites sur lui.

Prier c’est parler à quelqu’un qui n’est pas là.

Je ne crois pas à la prière.

Au Créateur. 

Mais ça m’arrive de parler quand il n’y a personne là.

Les bouteilles de vin accumulées sur la table.

Partagées avec des invités qui ont déjà repris leur route chez eux.

Je préfère les bouteilles de gin,

Car avec une lumière,

Elles savent créer des arcs-en-ciel.

Les bouteilles de bière me font penser à mon père,

Aux eaux marronnes de la rivière Rouge.

Mon sang rouge fait de moi un acte de réconciliation.

J’ai hérité une haine de qui je suis.

Je suis Métis, malgré ce que mémère m’a dit.

Je suis gai, malgré mes nombreuses prières.

Ma nation est née d’hommes qui ont choisi de délaisser leurs femmes catholiques.

À la chasse de queues,

Mouillées par les eaux du Grand Manitou.

On se sent errant sur des eaux mouvementées.

Instable, on se cherche un troisième point d’ancrage.

Mon trépied se manifeste par mes désirs.

Et si je me fatigue,

Je m’y accoterai un instant.

Saura-t-il mieux me soutenir, 

Que les six murs d’une boîte?

Enfermé, tout est noir.

Pas besoin de lumière pour savoir que je suis le seul cygne noir, parmi des cygnes blancs.

Le fils du roi m’a à l’œil,

Sa main sur son fusil d’argent.

Son arme la plus dangereuse c’est son cœur,

Car il bat avec de la haine pour tout ce qui est différent.

Pourquoi tant de folklore nous apprend

Que le noir doit être éradiqué?

Je préfère me souvenir que certaines fables donnent sagacité au corbeau,

Lui aussi un oiseau noir.

Ramasser sa plume,

Pour écrire avec elle,

Tremper dans une encre.

Il faut connaitre la haine si l’on veut se réconcilier.

Quelles paroles nous y mèneront?

Mes paroles s’appuieront sur la langue française,

Une langue colonisatrice.

Une langue autochtone aussi.

L’épistémologie métisse est faite ainsi.

Si je me mords la langue,

Ça veut dire que le français,

Je dois l’avoir au bout de la langue.

Si je montre mes dents,

Si j’ouvre tout grand,

Peut-être on peut y glisser quelque chose?

Montre-moi l’arc-en-ciel lors des jours de pluie.

Sinon je viderai ma bouteille pour me le créer moi-même.

Je vais en faire tourner une,

Voir ce que le destin m’offre.

Les objets en mouvement sont obscurs,

Difficiles à voir.

Je peux lire sur le rétroviseur : 

Les objets sont plus prêts qu’ils ne le paraissent.

Mes objets désirs ne semblent jamais me rejoindre.

Est-ce plutôt un avertissement?

Les objets sont plus prêts qu’ils le paraissent.

Mieux vaut rester en mouvement pour y garder une distance ;

Impossible de regarder dans un miroir sans se voir.

Je suis moi-même un acte de réconciliation.

Haine, peine, désir, et amour.

Je ne peux qu’être toutes ces couleurs, 

Qui formeront mon arc narratif écrit à l’encre noire.

Michel Saint-Hilaire — Faces

Michel Saint-Hilaire — Faces

Médiums mites sur toile et lumière Néon, 21 par 17 pouces, 2016

Article précédent Séjour dans le désert
Prochain article depuis la garde du matin
Imprimer
98

No content

A problem occurred while loading content.

Créations

L’improbable rédemption du poète L’improbable rédemption du poète

Courte nouvelle d'une jeune autrice en résidence d'écriture qui fait la rencontre d'un de ses futurs personnages pour se rendre compte qu'il est aussi le personnage d'un autre auteur à une autre époque, Pierre Lardon, qui a des crimes à faire pardonner. 

Bref, la fuite Bref, la fuite

Dans ce récit disloqué, les pensées humanistes d’une physicienne forcée de quitter son pays la soutiennent jusqu’au bout de la fuite.

depuis la garde du matin depuis la garde du matin

Troisième extrait sous un 3e titre d'un recueil en construction. Journal poétique inspiré du Livre des Psaumes en haïkus/haïbuns. Comment faire l'expérience du Psautier par le moyen de la poésie contemporaine.

Arc-en-noir Arc-en-noir

Une relance contemporaine du style Beatnik, le poème Arc-en-noir donne voix aux désirs, pensées non-filtré et conflits interne d'un homme indigiqueer du Manitoba.

Séjour dans le désert Séjour dans le désert

Extrait du roman en chantier Jésus de Nicolet. Le narrateur, Jésus de Nicolet, raconte les souvenirs de ses vies antérieures, dont celle de Jésus de Nazareth, à son voisin de siège lors d’un voyage en train de Toronto à Vancouver. 

Mon corps pour tout royaume Mon corps pour tout royaume

Récit poétique de la quête d'une femme afrodescendante dans un processus de décolonisation du corps et de l'esprit. Ses pas la mènent sur les terres méconnues du Nord canadien. Lorsqu'on est née d'exil, on a le corps pour tout royaume.

Scènes de métro Scènes de métro

Réflexions inspirées par des moments vécus dans diverses stations de métro montréalaises. 

Un village détruit Un village détruit

Représentation imaginaire et poétique de la destruction du village métis de Sainte-Madeleine au Manitoba dont il ne reste que le cimetière. Aucun chemin ne s'y rend et il faut passer par un paturage communautaire très peu carossable pour le rejoindre. 

Viande hachée, à feu moyen Viande hachée, à feu moyen

Une femme célibataire et solitaire prépare un repas spécial à l'occasion du retour d'une ancienne flamme. Le processus la mène à réfléchir à ses habitudes, ses besoins et ses désirs.

No content

A problem occurred while loading content.

Previous Next

  

À ciel ouvert numéro 11

Téléchargez gratuitement la version PDF du numéro 11 d'À ciel ouvert.

Bonne lecture!


 

Les artisans de ce numéro

Coordination de la publication :
Jeffrey Klassen

Comité de rédaction :

  • Madeleine Blais-Dahlem
  • Marie-Diane Clarke
  • Tania Duclos
  • Mychèle Fortin
  • Lyne Gareau
  • Jeffrey Klassen
  • Jean-Pierre Picard

Auteur·e·s :

  • Émanuel Dubbeldam
  • Mychèle Fortin
  • Margot Joli
  • Murielle Jassinthe
  • Jean-Pierre Picard
  • Eric Plamondon
  • Laurent Poliquin
  • Sébastien Rock
  • Gisèle Villeneuve

Artiste invité :
Michel Saint Hilaire

Mise en page et mise en ligne :
Jean-Pierre Picard

Merci à l’Association des auteur·e·s du Manitoba français qui a piloté l’organisation du Concours de création littéraire de l’Ouest et du Nord canadiens (CCLONC).

La revue À ciel ouvert est publiée et diffusée par :

Coopérative des publications fransaskoises

en partenariat avec

Collectif d'études partenariats de la FransaskoisieRegroupement des écrivains·e·s du Nord et de l'Ouest canadiens


Merci à nos commanditaires:

    Conseil culturel fransaskois   Saskculture Fondation fransaskoiseGouvernement du Canada