À ciel ouvert 11 — Automne 2023 / hiver 2024

Mychèle Fortin
/ Catégories: Récit, 4 Automne 2018, Récit

Souvenirs des Amériques 2 et 3

Mychèle Fortin

Image
Illustration : Sharon Pulvermacher

2 - Sur les bords du lac Atitlán

Il fait chaud, mais pas trop. Sac au dos, je marche. Je sais ce que je quitte, j’ignore vers quoi je vais.

Je quitte Panajachel, les touristes et ce lac quasi mythique dans lequel j’ai failli me noyer. Je vais vers ce que je cherche depuis le début de mon périple et que je ne peux nommer.

Je marche vite, d’un pas mal cadencé. Je regarde droit devant ou je regarde le sol. Je suis fébrile, je ne vois ni n’entends les oiseaux, même pas les quetzals pourtant si magnifiques. Les heures passent. Peu à peu mon pas se fait plus régulier, mon sac à dos se fait plus léger.

De temps en temps je croise des hommes, des femmes et des enfants qui vont aux champs. Les hommes, qui m’arrivent tous à l’épaule, me lancent un timide buenos dias. Les femmes me regardent d’un air méfiant, les enfants d’un air curieux.

Je n’ai pas encore compris que la femme blanche intimide. Je n’ai pas encore compris que la peur s’en vient. Je n’ai pas encore compris que bientôt, il ne fera pas bon être Maya par ici.

Plus tard, je vais poser mon sac à San Lucas. J’y resterai quelques mois. Assez longtemps pour commencer à voir et à comprendre ce que je n’ai ni vu ni compris jusque-là.

Au bout de cette marche m’attend le commencement de ma vie d’adulte.

3- Una tarde en El Salvador – un après-midi hors du temps

Il devait être midi quand nous sommes arrivés dans le village silencieux, quelque part entre Sonsonate et le volcan Santa Ana (Ilamatepec, de son nom nahualt).

Nous marchions dans la rue principale, bordée des deux côtés par un mur blanc percé de portes closes. Il faisait très chaud. À part le bleu du ciel, tout était blanc : le soleil, les arbres décharnés, la poussière qui amortissait le bruit de nos pas.

Nous avancions côte à côte, quatre étrangers abrutis par la chaleur, aveuglés par la réverbération de tout ce blanc, ensorcelés par le silence presque surnaturel : aucune voix, aucun chant d’oiseau, pas même l’aboiement d’un chien, pourtant si nombreux à errer dans ces contrées. On aurait dit que le temps s’était arrêté et que l’âme du village n’attendait qu’un signe pour s’éveiller.

Nous avions soif. Nous passâmes devant deux ou trois tiendas, une pharmacie, un bureau de poste. Tout était fermé. Nous arrivâmes au zócalo. Quelques bancs vides entouraient une fontaine sans eau. Les branches d’amandiers squelettiques pendaient tristement. Le parc était aussi désert que la rue. De l’autre côté du zócalo se dressait l’église, blanche aussi, avec un toit de tuiles brunâtres qui avaient dû, déjà, être rouges.

La porte latérale de l’église s’ouvrit doucement. Une vieille femme sortit et s’éloigna d’un petit pas pressé, souris noire dans un décor blanc. Je la suivi des yeux. Un chat orange traversa la place. Je remarquai une porte entrebâillée.

Nous entrâmes dans une salle de billard déserte, obscure et fraîche. Sur le comptoir, quelques bières tièdes, sans personne pour nous les servir. Nous en prîmes chacun une. Puis, assis dans la pénombre, nous attendîmes que le temps se remette en marche.

Aucun de nous n’avait prononcé une seule parole.

Mychèle Fortin

Mychèle Fortin

Grande voyageuse et véritable touche à tout, Mychèle a eu plusieurs vies. D'abord il y eu le piano, les études classiques, les premières chansons. Ensuite ce fut le théâtre, École nationale, régie – entre autres à la Cie Jean Duceppe et au Centre national des arts. Puis vinrent la recherche à l'ONF – avec le défunt et célèbre Studio D -, les études en science politique. Suivi un virage vers le milieu communautaire et l'éducation populaire. Entre et au travers de tout ça, les voyages. La maternitude. En Saskatchewan depuis mai 2013, elle a été rédactrice de l'Eau vive et signe la chronique Coup d'oeil sur le monde depuis l'automne 2014. Elle partage son temps entre le jardin, la musique, l'édition et son amoureux. Lire est son plaisir gourmand, écrire est son plaisir coupable. 

Imprimer
6517

No content

A problem occurred while loading content.

Créations

L’improbable rédemption du poète L’improbable rédemption du poète

Courte nouvelle d'une jeune autrice en résidence d'écriture qui fait la rencontre d'un de ses futurs personnages pour se rendre compte qu'il est aussi le personnage d'un autre auteur à une autre époque, Pierre Lardon, qui a des crimes à faire pardonner. 

Bref, la fuite Bref, la fuite

Dans ce récit disloqué, les pensées humanistes d’une physicienne forcée de quitter son pays la soutiennent jusqu’au bout de la fuite.

depuis la garde du matin depuis la garde du matin

Troisième extrait sous un 3e titre d'un recueil en construction. Journal poétique inspiré du Livre des Psaumes en haïkus/haïbuns. Comment faire l'expérience du Psautier par le moyen de la poésie contemporaine.

Arc-en-noir Arc-en-noir

Une relance contemporaine du style Beatnik, le poème Arc-en-noir donne voix aux désirs, pensées non-filtré et conflits interne d'un homme indigiqueer du Manitoba.

Séjour dans le désert Séjour dans le désert

Extrait du roman en chantier Jésus de Nicolet. Le narrateur, Jésus de Nicolet, raconte les souvenirs de ses vies antérieures, dont celle de Jésus de Nazareth, à son voisin de siège lors d’un voyage en train de Toronto à Vancouver. 

Mon corps pour tout royaume Mon corps pour tout royaume

Récit poétique de la quête d'une femme afrodescendante dans un processus de décolonisation du corps et de l'esprit. Ses pas la mènent sur les terres méconnues du Nord canadien. Lorsqu'on est née d'exil, on a le corps pour tout royaume.

Scènes de métro Scènes de métro

Réflexions inspirées par des moments vécus dans diverses stations de métro montréalaises. 

Un village détruit Un village détruit

Représentation imaginaire et poétique de la destruction du village métis de Sainte-Madeleine au Manitoba dont il ne reste que le cimetière. Aucun chemin ne s'y rend et il faut passer par un paturage communautaire très peu carossable pour le rejoindre. 

Viande hachée, à feu moyen Viande hachée, à feu moyen

Une femme célibataire et solitaire prépare un repas spécial à l'occasion du retour d'une ancienne flamme. Le processus la mène à réfléchir à ses habitudes, ses besoins et ses désirs.

No content

A problem occurred while loading content.

Previous Next

  

À ciel ouvert numéro 11

Téléchargez gratuitement la version PDF du numéro 11 d'À ciel ouvert.

Bonne lecture!


 

Les artisans de ce numéro

Coordination de la publication :
Jeffrey Klassen

Comité de rédaction :

  • Madeleine Blais-Dahlem
  • Marie-Diane Clarke
  • Tania Duclos
  • Mychèle Fortin
  • Lyne Gareau
  • Jeffrey Klassen
  • Jean-Pierre Picard

Auteur·e·s :

  • Émanuel Dubbeldam
  • Mychèle Fortin
  • Margot Joli
  • Murielle Jassinthe
  • Jean-Pierre Picard
  • Eric Plamondon
  • Laurent Poliquin
  • Sébastien Rock
  • Gisèle Villeneuve

Artiste invité :
Michel Saint Hilaire

Mise en page et mise en ligne :
Jean-Pierre Picard

Merci à l’Association des auteur·e·s du Manitoba français qui a piloté l’organisation du Concours de création littéraire de l’Ouest et du Nord canadiens (CCLONC).

La revue À ciel ouvert est publiée et diffusée par :

Coopérative des publications fransaskoises

en partenariat avec

Collectif d'études partenariats de la FransaskoisieRegroupement des écrivains·e·s du Nord et de l'Ouest canadiens


Merci à nos commanditaires:

    Conseil culturel fransaskois   Saskculture Fondation fransaskoiseGouvernement du Canada