L’Éveil d’Abélard
Serge Ben Nathan (Colombie-Britannique)
Le touché - Nicole Dextras
Sculpture de glace et tissus, 2011
Il la regarda, simplement, comme on regarde un ciel d’hiver lorsque déjà des promesses de printemps se font sentir.
Elle répondit à ce regard en lui tendant les mains,
Mains que peut-être il n’osa prendre,
Qu’en fait il ne vît même pas tellement il voyageait dans les couleurs vertes et cendrées de ses yeux.
Le paysage qui s’offrait à lui, c’était tout à la fois les cendres des forêts en feu et le calme des sources
La force d’une rivière se jetant à courant perdu dans l’océan.
Une eau épaisse, profonde, étonnamment fraiche dans laquelle il plongeait et replongeait.
Parfois, il se laissait flotter,
Sa bouche faisant face au ciel formait alors des mots qui sortaient, silencieux, comme entourés, protégés d’air.
Des mots bulles éclatant avec légèreté dans l’air frais,
Suivi par la résonance extraordinaire d’un rire
Déchirant toute la solitude du monde
Tel un éclair le ciel
Mais,
Toujours présente,
Ancrée comme une barque indifférente au remous,
L’insistance de cette femme, debout devant lui, qui lui disait déjà je t’aime du bout des doigts, qui lui disait viens me chercher,
Je t’attends,
Elle lui disait viens entre mes lèvres
Entre ma peau et ma chair
Entre mes paupières et mes yeux
Je ne veux plus attendre
Ses doigts, ses bras, son cœur, ses poumons, ses entrailles,
Son corps entier s’étira jusqu’à lui pour le serrer de toutes ses forces
Pour le faire entrer en elle
Sentir chaque particule de cet être pénétrer sa chair, son âme
Elle s’enfouit à l’intérieur de ce corps qui en était deux pour lui murmurer : Entends nos cœurs qui battent, qui battent, qui battent…
Lui, était toujours à son rire,
Il savait,
Il savait qu’ils étaient heureux, là, maintenant et il riait encore plus fort
Faune ruant dans les herbes hautes du corps de sa bien-aimée
Son rire chantait épouse-moi, épouse-moi!
N’attendons pas la fin des temps, n’attendons rien que nous-mêmes et nous sommes ici, présents
Depuis cet amour, on dit qu’entendre un rire sans en percevoir la provenance porte chance et rend heureux.
Ce soir-là, dans les brumes silencieuses qui flottaient au-dessus de la campagne mouillée,
Ce rire murmurait à Héloïse et Abélard que leurs cœurs de fait battaient ensemble
Que le bonheur était là
Qu’ils allaient être heureux
Jusque dans la mort puisque c’est la vie qui
Tel le feu
Entra en eux
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