DÉSERT
Elle – Tu sais, il y a une fleur dans le désert.
Lui – Juste une ?
Elle -- Peut-être. Peut-être qu'il y en a beaucoup, méconnues et mystérieuses dans le désert nocturne. Ou tout simplement espérées.
Lui -- Nocturne. Hum. Ça doit être rare.
Elle – On penserait.
Lui – Et puis ? Cette fleur désertique ?
Elle – Il fait chaud dans le désert—
Lui – Il fait froid en hiver—
Elle – --donc la fleur ne s’ouvre que la nuit, sous la pleine lune. Ça doit briller comme un soleil doux, la lune, dans le ciel ininterrompu du désert.
Lui – Oui, ça doit.
Elle – Notre fleur a une tige énorme, robuste, et des pétales qui s’ouvrent à la lune comme une trompette brisée – ou comme dans ces BD, où l’on met une roche dans le bout d’un fusil avant que le coyote ne le tire.
Lui – Y as-tu un roadrunner aussi, dont le vent déchire les beaux pétales de trompette brisée sur son passage ?
Elle – Je n’y ai pas été. Peut-être. J’espère bien que non.
Lui – Moi aussi. Ce serait trop dommage, les pétales éparpillés.
Elle -- Des lames douces, saupoudrant le sol blanc.
Lui -- J’aimerais bien voir ces fleurs sous la lune. Ça doit être jaune, hein, cette lumière ?
Elle – J’espère argent, comme ici.
Lui – Pourquoi argent ?
Elle – Nos beaux pétales sont violets. Imagine ça sous une lumière argentée ?
Lui – C’est trop dur l’argent, ça casserait les pétales, même s’ils sont robustes.
Elle – Eh bien. Tige robuste, chauve-souris fragile, et rare.
Lui – Tu sautes du coq à l’âne toi, es-tu correcte ?
Elle – Les chauves-souris sont rares comme la fleur du cactus. Les deux, c’est rare.
Lui – On s’est construit le petit abri de chauve-souris là, au-dessus du garage…
Elle – Comprends, cher amour, c’est la chauve-souris qui atterrit sur la fleur. Dont la tige robuste. Dont les pétales en trompette explosés.
Lui – Woah là, la chauve-souris—
Elle – --tombe du ciel comme une feuille, atteint les pétales, y griffe ses pattes, tient fort.
Lui – Tient fort.
Elle – C’est un accident autrement.
Lui – Hein?
Elle – L’amour des plantes. Un accident.
Lui – Euh…
Elle – Oui, elles font l’amour, à leur façon. C’est plus risqué pour elles mais moins dangereux.
Lui -- …Ok.
Elle – La chauve-souris elle, cherche à boire. Son nectar.
Lui – L’eau, genre, sucrée ?
Elle – C’est ça, cachée dans un minuscule puits aux profondeurs de la trompette. De l’eau dans le désert.
Lui – Ce qui embellit le désert, c’est qu’il cache un puits quelque part.
Elle – Les chauves-souris le savent. Trop beau, beau à mettre les larmes aux yeux, le désert sous la pleine lune, la nuit, les chauves-souris aux cieux.
Lui – Ça doit faire un bruit bizarre.
Elle – Les ailes sèches ?
Lui – Oui. Tu parlais d’accident, l’amour des plantes ?
Elle – Oui. Veut veut pas, le vent souffle, les fleurs se déchirent. Les chauves-souris, c’est même pas par exprès.
Lui – Ça cherche pas l’amour, hein ?
Elle – Eh bien. Ça cherche le nectar, pour combler sa soif, pour nourrir son corps. Encore des coups d’aile, encore des coups de cœur pour la chauve-souris.
Lui – C’est fataliste.
Elle – C’est la vie. Fatalité que la chauve-souris cherche à boire. Fatalité que la fleur – ben non, le cactus – cherche à faire naître. La chauve-souris est son véhicule insoupçonné pour transmettre sa promesse, son énergie, son cœur.
Lui – Les plantes ont-elles un cœur ?
Elle – Pas comme tel, mais on se comprend.
Lui – Tu te comprends…
Elle – Et tu me rattraperas un jour, inquiète-toi pas.
Lui – Ok, on parle de quelle promesse ?
Elle – Celle qu’on a fait en naissant, en étant conçu.
Lui – Si tu te rappelles ta conception—
Elle – C’est la promesse faite à toute chose vivante, collée dans notre ADN et murmurée avec les premiers mouvements de vie.
Lui – Promesse ?
Elle – De continuer, même si c’est pas moi. Pas soi.
Lui – La promesse du cactus, de sa fleur—
Elle – D’en faire d’autres, même si ça prend la lune et le ciel clair et la chauve-souris tellement rare…
Lui – (pause) C’est assez beau, quand même.
Elle – Oui. (pause) Je suis enceinte. De toi.
Lui – Ah… !