Exister
Lyne Gareau (Colombie-Britannique)
L'art de décloisonner
David Baudemont - Aquarelle et fusain sur papier
LUMIÈRE
Sur les toits comme des écureuils
les cheminées forgent en silence
leurs secrets tordus
Un à un les étages s’illuminent
chaque éclaircie sonne l’heure
chaque carreau s’émiette de lumière
Les étoiles étirent
leurs tentacules inachevés
se perdent en visages de miroirs
avant de revenir
sages
comme autant de ciels ordinaires
en bordure du vent
sur les vitres lointaines
que viendra consoler la noirceur
IL EXISTE POURTANT
Il existe pourtant
Des mois de trente et un jours
Des corbeaux endormis
Des robes de nuits en lambeaux
Il existe pourtant
Des moustiques fatigués
Des cabanes vidées
Des bonbons au chocolat
Il existe pourtant
Une vérité autre que la mienne
Une vérité autre que la tienne
Un advienne que pourra
Un advienne tu diras
Advienne que les contes de fées
N’ont plus de héros au cœur pur
Advienne que les tout-puissants s’étouffent de rire
À gorgées déployées
En rotant des ordures
Advienne qu’on enferme
La vérité dans un zoo
En la laissant trembler
Jambes et épaules nues
Advienne qu’on fouette de silence
Le voile infernal
Et pourtant
Et pourtant
Et pourtant nous existons.
TU EXISTERAS
Un jour tu existeras
Et je te dirai
Pourquoi n’as-tu pas existé avant
Mais j’existais
C’est seulement que toi
Toi
Tu n’existais pas
Ah bon
Alors c’est ma faute?
Il y aura un moment de silence
Nous réfléchirons à ce qui existe
Ce qui n’existe pas
Ce qui pourrait exister
Ce qui existe en secret
Ce qui existe trop ou trop peu
Nous nous prendrons par la main et d’un grand geste nous tracerons une courbe devant nous
Pour écarter toutes conjectures, toutes questions, toutes incertitudes
Apparaitra alors un grand tableau blanc
Ou noir ou vert
Ce sera un champ d’ardoise ou d’acier
Un mur auquel nous chuchoterons ensemble
Comme une prière
Tous nos coquins secrets
REGARDE CE QUE J’AI TROUVÉ
Dans ma maison, il y a un petit bleu
Mon petit bleu à moi
Mon petit bleu silence
Mon petit bleu froid
Mon petit bleu fenêtre éteinte
Chandelle triste de mon île
Fleuve déchiré
J’habite mon petit bleu
Comme une pierre
Il m’habite aussi
Comme le vent
Comme la fin
Trop studieux mon petit bleu
Trop naïf mon petit bleu
Trop cassé mon petit bleu
Trop fatigué mon petit bleu
Trop
Trop
Bleu
Et pourtant
Je l’étreins
Je le ciel
Je le passage et le provoque
Je le demain
Je le verse tout doucement
Sur ma forêt d’éternités.
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