L’autre soi-même
Par David Baudemont et Henri Biahé
Chères lectrices et lecteurs, c’est avec une fierté mêlée d’euphorie que nous vous présentons cette sixième édition d’À ciel ouvert. L’idée d’un numéro commun avec Ancrages, lancée il y a trois ans par Jean-Pierre Caissie, Rachel Duperreault et Sébastien Rock puis appuyée par le CA de la revue acadienne, nous avait enthousiasmés, mais nous n’avions pas alors les forces nécessaires.
Il faut dire que cette initiative de l’Est en direction de l’Ouest revêt un caractère fort significatif. En effet, cette démarche a le mérite d’ébranler, ou du moins, de mettre en veilleuse, les rapports de domination qui, hélas, existent trop souvent entre les littératures, y compris minoritaires.
Dans le contexte canadien, il n’est pas superflu de rappeler que bien que les littératures de l’Ouest et de l’Acadie soient généralement qualifiées de doublement périphérique, par rapport aux littératures française et québécoise, il n’en demeure pas moins vrai que du point de vue du rayonnement et de la visibilité, pour ne citer que ces deux aspects, la littérature acadienne ne saurait à proprement parler être logée à la même enseigne que sa consœur des Prairies, tant il est vrai que le rapport de force est évidemment en faveur de la première.
En ce sens, l’offre d’Ancrages à l’endroit d’À ciel ouvert mérite d’être saluée et encouragée, d’autant plus qu’au paradigme de la domination se voit substituer celui de la cohabitation et de la collaboration efficaces entre deux littératures qui, chaque jour, ne cessent de s’affirmer et de marquer leurs spécificités et authenticités respectives au sein de la littérature et de la francophonie canadiennes.
Par ailleurs, c’est l’énergie de la dynamique équipe universitaire du Centre d’études partenariales de la Fransaskoisie (CEPF) qui s’est joint à notre comité d’édition bénévole qui nous a permis de relever cet extraordinaire défi.
Pourquoi ce numéro commun nous paraît-il aujourd’hui, au moment de sa sortie, comme une évidence? Pourquoi avons-nous l’impression qu’une connexion entre nos deux espaces existait déjà? Dans le paysage de la francophonie canadienne et de ses rencontres littéraires, les auteures et auteurs des Prairies constatent souvent qu’ils ont plus d’affinités avec les Acadiens qu’avec les Québécois. Qu’est-ce qui nous rapproche, qu’est-ce qui nous distingue?
En gros, mis à part des langues qui se ressemblent et un statut commun de périphérie culturelle, à peu près tout sépare nos deux territoires: histoires, paysages, coutumes, économies.
Et si c’était l’horizon qui faisait le trait d’union entre nos deux espaces?
La plaine de l’Ouest est la petite sœur continentale de l’océan. Seule la steppe russo-khazakhe peut lui être comparée en taille. Mondialisation et urbanisation obligent, nous ne nous confrontons plus à son immensité chaque jour, mais nous savons qu’elle est là, il suffit de regarder par la fenêtre ou de prendre la route pour apercevoir l’horizon, ce bout du monde qui, selon, nous effraye, nous inspire ou nous réduit à une insignifiante dimension.
En est-il de même de l’horizon marin pour les Acadiens?
La plaine, comme la mer, a cessé d’être le sujet central de nos écrits. Mais ne sont-elles pas présentes toutes les deux en filigrane dans nos récits, nos histoires, nos poèmes? Les auteures et auteurs de nos deux espaces se rejoignent-ils quelque part face à cette ligne horizontale commune, si présente et insaisissable à la fois? On laissera aux lectrices et lecteurs le soin de juger.
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