Actualité littéraire

Au pied de la lettre du lieu commun
Jean-François McDonnell
/ Catégories: Faire communauté

Au pied de la lettre du lieu commun

Entre l’école et la maison, je ne dirai pas mot, aborderai un train bondé, m’enfermerai dans un livre le temps du trajet, croiserai à la sortie une série d’itinérants familiers, et autant de policiers pour les surveiller. En franchissant le seuil de la maison, ces mots de Pizarnik qui m’attendent : « Mon rêve est un rêve sans alternatives et je veux mourir au pied de la lettre du lieu commun qui assure que mourir c'est rêver. » Je cherche un lieu commun.

C’est peut-être un syndrome de grande ville, mais je demeure convaincu qu’il persiste en chacun de nous du moins une part de malaise liée à la rencontre de l’autre.

On évalue la menace que représente l’inconnu, on se performe pour protéger nos vulnérabilités. Avec l’expérience, ces entraves s’effritent, on apprend bientôt à les surpasser.

Toujours est-il que, depuis quelques années, je sens une recrudescence de ce vieux malaise en moi. Et je ne crois pas être seul.

De l’autre bord du spectre

Zénon Park. Tout le monde se souvient du projet Saskébec, de ces sourires télévisés de deux communautés francophones vibrantes qui ont réduit à néant les 3 000 kilomètres d’asphalte les séparant.

Mais quand je suis débarqué à Zénon Park cet été, je fus surpris du silence qui m’attendait. Aucun manège, aucun rire d’enfant. Des rues désertes. J’ai pénétré le bureau de l’Association fransaskoise locale (AFZP), le moral en loques.

Myriam Perrault, fidèle à son poste de directrice, m’a passé un beau savon. Impossible de ne pas se laisser entraîner par sa verve volcanique.

Avant mon arrivée, nous nous étions échangé quelques courriels, correspondance au cours de laquelle elle m’avait fait l’éloge de sa région, profitant du coup pour m’offrir, de manière entièrement bénévole, un généreux bottin de contacts susceptibles de s’intéresser à mon projet.

La jeune directrice a grandi à Zénon Park au sein d’une grande famille. Son parcours est typique : insatisfaite de la vie en région, elle s’est échappée dès que possible vers les grands centres, puis à l’étranger. C’est au cœur de la pandémie, cette période de délitement social, qu’elle a choisi de réinvestir sa terre natale.

L’effet COVID

La COVID-19 a transformé notre rapport à l’espace. Il n’est pas surprenant que bien des penseurs y voient un changement d’ère. On peine encore à mesurer l’envergure des conséquences sociales de la pandémie.

Pour certaines personnes, l’espace personnel a été mis en échec. Pour d’autres, dont Myriam Perrault, il s’agissait d’un éveil quant à la fragilité de nos lieux de rassemblement.

Depuis, elle oppose une résistance tenace à l’exode rural qui a grugé sa communauté. Cette fière Fransaskoise repeuple les zones d’abandon à l’aide d’initiatives culturelles, telle la route historique de Zénon Park, mise sur pied au cours des dernières années.

Et bien qu’aucune garantie ne soutienne sa démarche, la directrice de l’AFZP œuvre à créer des espaces de partage, puisque la société n’a pas besoin de reconnaître la culture : elle a besoin de la culture pour se reconnaître.

Il est impératif de suivre son exemple : nos espaces publics délaissés offrent encore un terreau fertile.

La joie est le fruit de l’imagination et l’imagination permet un remaniement perpétuel de nos frontières, ce qu’elles englobent. Il s’agit d’avoir le courage de faire preuve de resignification.

Et ce n’est pas seulement punk de resignifier notre traversée des lieux communs, que ce soit l’église de la paroisse, la salle communautaire ou le métro : c’est foncièrement responsable.

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