Une figure de proue
« On ne peut pas se libérer contre les autres. » C’est du moins ce que dit Camus au sujet de Caligula, empereur romain reconnu autant pour son extravagance que son sadisme, sur lequel l’auteur a rédigé une pièce éponyme. Comme tant d’autres empereurs et figures autocratiques de l’histoire, ce fameux dictateur ploiera sous les coups de couteau de ses pairs.
Contrairement à ce que nos voisins semblent vouloir nous prouver, un leader ne peut s’émanciper qu’en tandem avec le groupe qu’il est chargé de représenter.
Au cours de ma récente épopée dans les Prairies, plusieurs acteurs communautaires m’ont fait part de leur inquiétude grandissante en ce qui concerne la relève du leadership au sein de la communauté fransaskoise.
Je ne peux m’empêcher d’imaginer un pêcheur fatigué, négligeant de raccommoder son filet : bientôt, les mailles s’élargissent, la prise s’exfiltre.
La jeunesse ne se sent plus tant interpellée par la cause fransaskoise, contrairement à autrefois, à la fin du 20e siècle par exemple, où les luttes pour la francophonie enflammaient une relève vigoureuse et pimpante. La pandémie n’a fait qu’accroître le désengagement.
Qu’est-ce que le leadership ?
Selon plusieurs sources, il s’agit de la capacité d’une personne à guider et mobiliser un groupe vers un objectif commun.
C’est une compétence qui se développe par l’expérience et qui implique la responsabilité des résultats collectifs.
Ainsi, en amont du privilège, le leadership est un engagement. Un leader ne doit pas se contenter d’être une voix qui se raccorde à un discours solidaire, il doit être un effecteur et un participant, comme le dirait Deleuze.
Il s’agit d’un individu situé à l’intersection de la pratique et de la théorie, un engagé inextricablement joint à son tissu social.
Le leader, ce n’est pas un rapace dans une tour de verre : il ou elle fend la vague pour permettre au bateau d’avancer.
Il faut subvertir les stéréotypes que nous entretenons à l’égard de ce rôle cardinal. Bien sûr, quand on cherche à mobiliser une communauté, le charisme et l’esprit critique sont d’une utilité non négligeable.
Mais, avant tout, un leader doit faire preuve de vulnérabilité. L’époque des surhumains est révolue.
En s’ouvrant à ses pairs, on déconstruit le mythe supposant la perfection et la pureté comme qualités nécessaires à nos figures de proue. De toute manière, le temps finit toujours par démentir ces illusions.
Un leader serait donc commun, dans les deux sens du terme : situé au cœur du peuple et présent en chacun de nous.
Par chance, il existe déjà en Fransaskoisie plusieurs organismes communautaires prêts à former les leaders de demain.
En offrant un lieu de rencontre pour la jeunesse fransaskoise constellée aux quatre coins de la province, l’AJF, le CCF, le CÉF, les éditeurs et institutions francophones de la province, les associations communautaires fransaskoises de chaque ville ou village, tous catalysent cette chimie rare qui perméabilise les frontières et déploie l’individu hors de lui-même.
Jacques Brel a dit : « Le talent n’existe pas. » Il n’y a que le travail. Il en va ainsi pour le leadership. Nous avons tous en nous la capacité de faire fleurir notre culture et notre communauté.