Flipside (extrait)


Flipside (extrait)

Madeleine Blais-Dahlem (Saskatchewan)

Toutes les turbulences ont une fin

Toutes les turbulences ont une fin

David Baudemont - Aquarelle et fusain sur papier

Mise en scène : 

Une cage au centre duquel se trouvent deux fauteuils de salon qui font face à la rampe. Une lampe à pied les éclaire. Le seul autre meuble est un hifi des années 1970s. C’est une résidence où le téléviseur est toujours allumé. Il joue en sourdine et sera la source de la météo. Hors de la cage, en projection ou en réel, se trouvera La Crocheteuse. 

Personnages : 

  • La Vieille — épouse du Vieillard
  • Le Vieillard — époux de la Vieille
  • La Crocheteuse — personnage avec une fonction symbolique. 
  • La/Le Météorologue    donne les prévisions météorologiques. 

La Vieille est assise dans son fauteuil. Elle lit un livre avec un cahier sur les genoux. À tout moment, elle griffonne dans le cahier et retourne à sa lecture. Le Vieillard, même si c’est évident qu’il a mal aux pieds, tourne en rond sans relâche. Long moment.

Vieille : Arrête de tourner en rond. Tu m’agaces.

Vieillard : Qu’est-ce que tu veux que je fasse?

Vieille : Quelque chose. Il y a un panier de serviettes à plier. Et puis la laveuse de vaisselle à vider.

Vieillard : Ah, non. J’ai trop mal au dos.

Vieille : Téléphone à Jean. Vous pourriez aller prendre un café.

Vieillard : Sont partis à Palm Springs pour deux mois, lui puis sa femme.

Vieille : Arrête de tourner en rond! Lis quelque chose! Apprends quelque chose de nouveau!

Vieillard : Tu veux que je m’instruise? Pourquoi? Tu veux que j’avance? Vers quoi? Qu’est-ce qui m’attend? Il n’y a rien là. Rien que la mort.

Vieille : (Exaspérée, elle a déjà entendu cette rengaine.) Je peux t’offrir un livre. C’est une dystopie de la fin du monde par Tim Winton.

Vieillard : (La regardant comme si elle était folle) Je m’en fous de la fin du monde. J’y suis déjà arrivé. À la fin de mon monde.

Vieille : Écoute, mon cher. Faut pas mourir avant son corps.

Vieillard : C’est facile pour toi. Tu es plus jeune que moi.

Vieille : Oui. Et maintenant, je suis beaucoup plus jeune que toi! Parce que toi, tu te laisses mourir à petit feu. Non, tu te laisses consumer!

Vieillard : Ça fait mal, partout.

Vieille : Et alors? Ignore ton corps et peuple ton imaginaire.

Vieillard : Ça, ça fonctionne pour toi peut-être avec toutes tes idées puis tes livres. Moi, j’ai besoin du concret.  Moi, je voudrais piloter un avion. Aller à la chasse. Te faire l’amour. Quelque chose de vrai. Et puis c’est fini tout ça.

Vieille : Tu veux du vrai? Va nettoyer ta shop. On n’y trouve plus rien là-dedans.

Vieillard : Je ne saurais pas par quel bout commencer.

Vieille : Écoute. Nous pourrions le faire ensemble.

Vieillard : Un de tes projets encore?  Où tu te lances en tourbillon de poussière?

Vieille : Écoute. J’ai lu sur l’Internet qu’il y a une compagnie en Angleterre qui fait des disques vinyle souvenirs, en y intégrant les cendres des personnes décédées.

Vieillard : Je ne suis pas mort encore. Et tu veux m’enterrer déjà?

Vieille : Tu tournes en rond. Aussi bien de tourner en rond sur un disque 33 tours.

Vieillard : Bien, quand ça fait mal dans trente-trois différents endroits de ton corps, quand tu digères mal, quand tu dors mal-

Vieille : Arrête donc. Ça ne sert à rien cette litanie-là. J’aime l’idée du disque souvenir. Mais moi, je ne voudrais pas intégrer nos cendres. Premièrement, parce que cela veut dire que le disque ne serait complété qu’après notre mort et je veux l’entendre. Et puis les informations sur le site disent que l’intégration des cendres sur la surface du disque créerait du crépitement à l’écoute. Et puis ça, c’est pas l’impression que je veux donner de ma vie - que c’était plein de parasites.

Vieillard : Alors, ça serait juste pour nous autres deux?

Vieille : Oui. Un disque souvenir qui résume notre vie de couple.

Vieillard : On va s’ostiner sur un disque vinyle? Pour quoi?

Vieille : On va retrouver les beaux moments – là où toi tu étais heureux, moi, j’étais heureuse. Nous étions heureux. Pas nécessairement ensemble. Pas nécessairement en même temps.

Vieillard : Et les moments moins beaux?

Vieille : Un disque vinyle a deux côtés. Si tu veux être absolument honnête, on peut mettre ceux-là sur le flipside.

Scène Deux

Un.e météorologue,( hors de la cage)  donne les prévisions météorologiques internationales. (Projections si faisable)

Météorologue : Une baisse dans la pression atmosphérique est prévue pour les prochains cinq jours. Le temps sera incertain. Il y a la possibilité de vents et d’orages.

Scène Trois

Vieillard : Ça va couter combien?

Vieille : Ne sois pas si gratteux. Et puis arrête! Arrête de tourner en rond.

Vieillard : Ça serait pour qui? 

Vieille : Je l’ai déjà dit. Ça serait pour nous, pour toi et moi. Si on l’aime, on pourrait décider de le passer aux enfants.

Vieillard : Est-ce qu’ils ont des hifi? Qui écoute des disques?

Vieille : Oh! Les disques reviennent à la mode. Et puis, on commence avec l’idée que c’est pour nous. Et toi et moi, nous écoutons toujours des disques. Lakmé ne serait pas pareil sur Spotify.

Vieillard : Spotify? C’est quoi ça? Un chien pas de médaille?

Vieille : J’ai aucune idée. Un « streaming service », je crois. En tout cas, disons qu’on le fait pour nous.

Vieillard : Mais pourquoi, si on est tous les deux morts?

Vieille : Disons que moi, je m’intéresse plus au voyage qu’à la destination.

Vieillard : Alerte! Alerte! Cliché! Cliché!

Vieille : Tant pis. Allons-y.  Un disque vinyle, c’est sonore. Cherche dans la collection pour trouver nos meilleurs souvenirs.

Vieillard : Si je me penche, je ne pourrai jamais me relever. Peux-tu le faire?

La Vieille, avec un soupir d’agacement, met son livre de côté, se lève, prend le temps de se dégourdir le dos, les hanches et le cou, puis va s’asseoir par terre devant le hifi.

Scène quatre

Hors de la cage, la Crocheteuse, assise confortablement dans un fauteuil, fait du crochet.

La Crocheteuse : J’aime ça, le travail au crochet. Ça donne quelque chose, en fin de compte. Lorsque j’achète une boule de laine, c’est parce que j’aime la couleur ou bien son effet tactile lorsque je la prends dans mes mains. Ou parfois, elle est en vente et je me dis que je vais en faire quelque chose. J’ai donc un « stash » de boules de laine.  Bien sûr, ce n’est pas toujours de la laine. C’est rarement de la laine à vrai dire, parce que le fil acrylique coute moins cher, se lave plus facilement et offre une grande variété de textures. Et il y bien sûr, le fil de soie, de coton et de lin. Je trouve ça magique, presque, le travail au crochet. Tu prends un fil, tu l’entortilles avec ton crochet et tu crées une maille. Et puis une autre suivie d’une autre et tu composes une chaine. Et puis, rangée après rangée, tu enchaines tes chaines pour en faire un tissu. Ou bien, tu enchaines de façon circulaire, vers infini.

 

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