Les Cyborgs - Deuxième partie : l’installation
Claudine Audette-Rozon
Introduction
Claudine Audette-Rozon, artiste visuelle et musicienne, est née à Assiniboia, dans le sud de la Saskatchewan. Benjamine d’une famille de 13 enfants, elle reçoit une éducation religieuse où les filles n’ont pas une place prépondérante. Adulte, elle peint et enseigne le piano pendant trente ans. La maladie de Parkinson se déclare chez elle très tôt. La méditation, la musique et la peinture lui permettent de contrôler ses tremblements. Vers 2013, les remèdes qu’elle prend depuis 30 ans pour sa maladie commencent à lui provoquer des hallucinations. Un peuple de curieux étrangers vient alors partager sa demeure, jour et nuit. Ils sont fantasques et parfois très envahissants. Pour limiter leurs allées et venues incessantes, elle se met à leur écrire, puis à les peindre. Elle nous en offre ce portrait surprenant.
En publiant ses œuvres, Claudine veut ouvrir le sujet des hallucinations médicamenteuses (à distinguer des maladies mentales) qui affectent un grand nombre de personnes âgées.
Le texte a été découpé en trois parties : la rencontre, l’installation et « Il faut qu’on se parle ! ». La première partie a été publiée dans le volume 4 d’À ciel ouvert.
Résumé de la première partie : C’est en 2013 que Claudine Audette-Rozon remarque pour la première fois, à l’extérieur de chez elle, la présence d’étrangers aux étranges accoutrements. Bientôt, c’est un groupe entier qui s’installe chaque soir, effectue divers travaux et repart le matin, laissant un ou deux enfants sur place. Si Claudine comprend que ce peuple est le fruit de son imagination, elle est fascinée par leurs habitudes, leur paix et leur sourire. Elle s’interroge sur leur nature et leur histoire : pourquoi ont-ils tant de prothèses métalliques ? Ont-ils été victimes d’une catastrophe ? Ils semblent errer sur notre terre. Que cherchent-ils ?
Les Cyborgs - 2e partie
Illustration : Claudine Audette-Rozon
Cela fait plus d’un an que mes visiteurs ont fait leur apparition et ce n’est qu’aujourd’hui que je saisis leur nature. Dans mon studio d’artiste, j’ai été témoin (intentionnellement ?) d’une scène clé : un adulte, probablement un parent, accompagnait deux enfants auxquels on allait ajuster de nouveaux habits. Jusque-là, je n’avais jamais aperçu grand-chose de leur corps, un avant-bras par-ci, une attelle par-là, c’était tout. Or cette fois, devant moi, la fille s’était déshabillée sans la moindre pudeur. Elle était là, tout entière, mise à nu. Je découvrais avec stupeur qu’elle était faite d’un ensemble d’attelles et de boulons. Elle portait un chapeau en forme de couronne rempli de composantes électroniques.
Les Cyborgs - 2e partie
Illustration : Claudine Audette-Rozon
Si ce sont effectivement des robots, comment se fait-il qu’ils aient si peu d’existence matérielle et puisse changer de taille à volonté ? Mais je dois me faire à l’idée qu’ils sont un tissu de paradoxe et qu’ils peuvent jouer avec les apparences. Témoin, cette récente anecdote :
« Ma fille Nikki et moi sommes en route pour Candle Lake pour la fin de semaine. Il me semble voir une sorte de mirage dans le ciel. Mieux encore, un hologramme ! Pourtant, je ne vois aucune étendue d’eau ou de sable qui se prêterait à ce genre de phénomène. Quelque chose dans l’image – un cheval blanc – m’est familier. Mais, c’est un de mes dessins ! Ils l’ont exposé à la vue de tous, projeté au beau milieu du ciel (ce sont bien eux qui ont fait ça : leur véhicule spatial est caché derrière un nuage). Je souris. Qu’est qu’une artiste comme moi pouvait espérer de mieux ? ! »
Les Cyborgs - 2e partie
Illustration : Claudine Audette-Rozon
À la maison, leurs intrusions commencent à me déranger. Ils traversent les murs comme si ceux-ci n’existaient pas. Ils sont de plus en plus sans-gêne.
*
Je me dis et me répète : « Souviens-toi, ils n’appartiennent pas au réel. Ils s’apparentent aux rêves. Ils apparaissent et disparaissent comme nuages ou brouillard. »
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Heureusement, à force de les fréquenter, je me suis rendu compte que je pouvais leur parler mentalement. Ils semblent attentifs à ce que je dis. Toutefois, ils font la sourde oreille quand je leur dis « non » ! Il faut que je sois ferme et claire dans mes propos si je souhaite obtenir le moindre résultat.
Les Cyborgs - 2e partie
Illustration : Claudine Audette-Rozon
Il s’agit donc de définir clairement les limites à ne pas franchir, surtout avec les enfants. Cette semaine, à deux reprises, une jeune fille fit irruption dans la maison pour y passer la nuit. Au moment où elle allait franchir le seuil de ma chambre, je levai la main pour l’en empêcher. Elle stoppa nette, l’air déçu, et se tourna vers le chef du groupe qui se trouvait là. Celui-ci lui fit signe de m’écouter.
*
« Pourquoi toute cette activité la nuit ? Le niveau de mes hallucinations a augmenté. Que se passe-t-il ? Faut-il que je modifie mes doses de médicaments ? Est-ce qu’avancer dans mon récit aurait un effet ? Et si j’essayais le dessin à l’encre au lieu de la peinture ? »
*
Hier, j’ai sursauté en entrant dans le cellier : une des fillettes était allongée sur le dos au beau milieu du porte-bouteilles. Son œil droit était relié au bouchon de trois bouteilles de vin par des câbles électriques !
Leurs farces se multiplient ; je ne sais plus quoi faire. Tout ça commence à m’irriter franchement ! J’ai surpris deux enfants en train de démonter une horloge. En un tournemain, ils se sont servis du boîtier comme d’un seau, remplissaient d’eau ma guitare. Un peu plus tard, je remarquais que deux autres petits avaient pris la place de Joseph et Marie sur ma crèche de Noël !
Les Cyborgs - 2e partie
Illustration : Claudine Audette-Rozon
Les Cyborgs vont et viennent comme chez eux, ils entrent et sortent de ma chambre à tout moment de la nuit. Ils démontent et remontent tout, jusqu’à ma propre marchette !
Là c’en est trop ! Vous abusez de ma patience. Je veux que vous disparaissiez. Sortez de chez moi immédiatement !
Fin de la deuxième partie
Textes, peintures et dessins de Claudine Audette-Rozon
Traductions et corrections de David Baudemont et Jean-Marie Michaud
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