À ciel ouvert 13 — Automne 2024 / Hiver 2025

Et si Gabrielle Roy était restée dans l’Ouest?
Madeleine Blais-Dahlem
/ Catégories: 3 Printemps 2018, Essai

Et si Gabrielle Roy était restée dans l’Ouest?

Madeleine Blais-Dahlem

Quelle place auront les écrivaines contemporaines d’expression française dans la littérature des Prairies ? Est-ce que les défis du passé vont se perpétuer dans ce présent bien branché qui donne à toutes et à tous une ouverture sur le monde par le moyen du réseau mondial de l’Internet, de la Toile mondiale ?

Du point de vue historique, il y a eu bien des défis pour celles qui voulaient devenir des auteures publiées et lues. Mis à part les préjugés qui donnaient à la femme une place inférieure aux hommes sur tous les plans, la femme souffrait plus que l’homme des empêchements qui venaient du rôle minoritaire du français sur les Plaines, de Saint-Boniface au Manitoba à Saint-Paul en Alberta.

En premier lieu, la femme était probablement à la maison, à moins d’être une religieuse ou une professionnelle. Pour nos mères et nos grands-mères, accablées par le ménage, la maison et la famille, il aurait fallu avoir une passion débridée pour se consacrer à l’écriture. Ma mère, née en 1909, avait une fine plume et aurait pu être écrivaine. Pendant mon enfance, elle s’est toutefois refusée même le plaisir de lire parce qu’elle ne voulait pas d’une distraction qui nuirait à ses responsabilités de mère et de fermière. Les femmes sont surtout pratiques et pour la plupart, ce rêve d’écrire aurait été la poursuite d’une chimère.

Les communautés francophones vivaient isolées les unes des autres. Avant l’arrivée de la télévision dans nos maisons, nous introduisant à la culture américaine et la langue anglaise, il était possible de vivre plus ou moins en français. Mais où trouver une culture et une littérature florissante ? Ici, en Saskatchewan, il y avait La Liberté et le Patriote et deux postes de radio CFNS (Saskatoon) et CFRG (Gravelbourg). Mais il n’y avait ni maison d’édition francophone ni librairie francophone. Puis, notre éducation était formellement restreinte à 90 minutes de français par jour. C’est bien peu. Nos livres écrits en français nous venaient du Québec ou de la France, des lieux loin de notre expérience.

Voilà le premier défi pour celle qui voudrait prendre la plume : le manque de confiance qui vient de notre situation minoritaire. Comment écrire dans une langue qui n’occupe pas notre journée du matin au soir ? À ne pas vivre dans notre langue, nous perdons la richesse de notre expression, il y a des vides dans notre vocabulaire.

Le deuxième défi vient de l’isolement qui nous éloigne de la possibilité de mentorat. Lorsque mon désir d’écrire est devenu irrésistible, j’ai suivi des cours de composition en anglais parce qu’il n’y avait pas d’autre choix. Avec la confiance acquise, j’ai trouvé une communauté qui m’appuyait. La Troupe du jour offrait la possibilité de production pour mes pièces de théâtre. Le Cercle des écrivains offrait une critique rigoureuse et généreuse de mes textes.

Un troisième défi vient de notre petit nombre. Il est difficile de s’établir et d’acquérir une renommée suffisante qui peut se traduire en ventes quand l’infrastructure culturelle est composée de maillons si fragiles. Par exemple, lorsque l’incomparable Gabrielle Roy est revenue au Canada, après ses deux ans en Europe où elle avait signé des articles pour les journaux en français et en anglais, elle a fait le choix d’écrire en français. Elle s’est rendue directement à Québec où elle a passé le restant de sa vie dans une société où sa langue était la langue de la majorité. Cette société, qui est toujours la matrice de la francophonie en Amérique, foisonnait d’art, de culture et de littérature. Gabrielle y a atteint une grande renommée. Sa sœur Marie Anna, qui devint aussi une institutrice et une écrivaine, mais sans quitter les Plaines, est presque inconnue et ses livres ne sont disponibles que dans les bibliothèques.

La question qui doit se poser ici n’est pas celle de comparer le talent de Marie Anna à celui de Gabrielle, mais plutôt : est-ce que Gabrielle Roy aurait touché aux mêmes sommets littéraires si elle avait tenté sa chance à Saint-Boniface au lieu de la ville de Québec ?

Au fond, je crois que le défi d’être une écrivaine d’expression française des Prairies vient surtout de notre situation minoritaire et moins de notre sexe.

Mais voilà que maintenant, les distances physiques sont effacées par la possibilité d’une nouvelle sorte de rapprochement, tout aussi éphémère que réelle. Que nous vivions dans une ville ou un village isolé, nous avons une fenêtre sur le monde grâce à Internet. Aujourd’hui, à l’ère de la communication instantanée et de l’autopublication, je vois une sortie de notre isolement. Quoique notre initiative personnelle soit un élément du jeu, nous pouvons explorer la littérature de toute la francophonie. Et la francophonie peut nous trouver !

Cette revue en ligne, À ciel ouvert, est un fil de conduite. Notre langue, dans tous ses accents et toutes ses modalités, nous est bel et bien accessible; ce qui ne peut faire autrement que de nous enrichir et de nous encourager.


Madeleine Blais-Dahlem

Madeleine Blais-Dahlem

Originaire de Delmas, village francophone de la Saskatchewan, Madeleine détient une maîtrise en littérature française de l’Université de la Saskatchewan. Elle a enseigné pendant 27 ans, surtout en immersion française au niveau secondaire. Elle a commencé à écrire pour le théâtre en 1992. Depuis 2005, elle en fait sa profession. Quatre de ses pièces ont été produites par La Troupe du Jour : Foyer en 2005 (en coproduction avec L’UniThéâtre), Les vieux péteux en 2008, La maculée en 2011 et Cantate pour légumes en 2015.

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Le secret de Luca
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125 ans de francophonie au Yukon
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Créations

Poème nocture Poème nocture

Au moment de vivre une nouvelle période du soleil de minuit au Yukon, il y a la beauté, mais aussi l’angoisse de cet éveil qui ne veut pas s’endormir.

Le voyage Le voyage

Ce poème explore le parcours intérieur d'un jeune homme partant d'un petit village agricole vers une quête de soi. À travers les métaphores de la navigation en mer, le poème illustre les défis et les révélations auxquels il est confronté. 

Errements Errements

J’atteindrai Qu’Appelle Valley, et ma voix éteinte soufflera  / Mon peuple souffre et mon âme est en berne.
Nous les retrouverons, nous les rassemblerons / Tous ces perdus de la forêt, du désert et de la méditerranée. 

 

Le Fatboy de Dairi-Wip Le Fatboy de Dairi-Wip

Après avoir fait ses études dans une université prestigieuse de l'Est, la narratrice revient chez elle, à Saint-Boniface, et pose un regard nouveau sur sa culture franco-manitobaine. Elle se rend compte de tout ce qui lui a manqué même si elle ne voyait pas la chance qu'elle avait à 18 ans.

L’éveil d’une pécheresse  en bonne et due forme L’éveil d’une pécheresse en bonne et due forme

Ce récit témoigne de l'influence de la religion sur une période de vie précise. Il raconte la lourdeur et l'inconfort et comment les jeux des enfants offrent souvent une porte de sortie devenant une issue de secours. 

Grande tante Lucie Grande tante Lucie

Morcelée par le passage des années, l'ardeur renaît chez Grande Tante Lucie alors qu'elle prodigue des soins aux pensionnaires du Centre de l'Éveil. Passionnée de médecine et de couture, elle tissera la courte-pointe de ses talents en passant d'une aiguille à l'autre.

Ébréchée (extrait) Ébréchée (extrait)

Pièce en chantier se déroulant principalement aux Territoires du Nord-Ouest. Les temporalités confondues illuminent les liens entre l'obsession du trouble obsessif compulsif, la charge mentale, et la nature comme agent de libération. 

Réparer le monde Réparer le monde

Dans un petit village isolé de la côte Nord-Ouest du Pacifique, une femme mûre venue de très loin transmet le récit de son peuple qui lutte avec courage contre la tyrannie de ses dirigeants. 

« Allez, enseignez toutes les nations » « Allez, enseignez toutes les nations »

Si les faits historiques de ce monologue sont réels, la narratrice est fictive. Religieuse centenaire, elle fait un retour sur son rôle au sein des écoles résidentielles pour autochtones. 

La ferme La ferme

Premier prix dans la catégorie prose du CCLONC 2024

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Les artisans de ce numéro

Coordination de la publication :
Jeffrey Klassen

Comité de rédaction :

  • Marie-Diane Clarke
  • Tania Duclos
  • Mychèle Fortin
  • Lyne Gareau
  • Jeffrey Klassen
  • Jean-Pierre Picard

Auteur·e·s :

  • Serge Ben Nathan (C.-B.)
  • Joëlle Boily (C.-B.)
  • Marie Carrière (AB)
  • Louise Dandeneau (MB)
  • Mélanie Fossourier (C.-B.)
  • ioleda (YK)
  • Amélie Kenny Robichaud (YK)
  • J. R. Léveillé (MB)
  • Gaël Marchand (YK)
  • Zoong Nguyên (AB)
  • Seream (MB)
  • Michèle Smolkin (C.-B.)

 

Artiste invitée :
Virginie Hamel
virginiehamel.com

Mise en page et mise en ligne :
Jean-Pierre Picard

Merci à l’Association des auteur·e·s du Manitoba français qui a piloté l’organisation du Concours de création littéraire de l’Ouest et du Nord canadiens (CCLONC).

La revue À ciel ouvert est publiée et diffusée par :

Coopérative des publications fransaskoises

en partenariat avec

Collectif d'études partenariats de la FransaskoisieRegroupement des écrivains·e·s du Nord et de l'Ouest canadiens


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