Numéro 1 - Printemps 2017

***

Mise en scène


Mise en scène

Estelle Bonetto

Image

Illustration : Sharon Pulvermacher

Les trois coups

Le marché s’éveille, il est 5 heures dans l’arène.

Le rideau se lève sur les vies abattues,

les cris des marchands s’élèvent dans les rues,

les pieds des passants piétinent les pavés encore nus.

Tous les acteurs, les actifs, les passifs,

s’activent en un brouhaha festif.

Le rideau frémit

Les halles se déploient à pleins poumons,

déversent leurs entrailles sur les passants en quête d’abandon.

Les étalages dégoulinent sous le poids des marchandises

qui gisent à leur guise.

Elles s’offrent sans pudeur

au milieu des odeurs.

Didascalies

Les sens sont en spectacle

sur les saynètes montées en sellette.

Les péchés s’avouent déchus,

la main dans le sac repu.

Les victuailles débordent en trophée

des cabas chargés qui dévoilent leurs recrues dénudées,

et les couleurs exacerbées de notre orgueil démesuré.

Oraison funèbre

Les animaux morts ne rentreront pas chez eux ce soir, ni plus d’ailleurs les légumes et les fruits arrachés à leur terre ou à leur arbre. Ils ne reviendront jamais sucer la sève nourricière et s’abreuver des rayons ensoleillés. Ils ne gambaderont plus, la cuisse légère, à travers champs et pâturages. Ces créatures vivantes, autrefois vivaces, ont fait place à la nuit. Leur dépouille exposée à la vue de tous se marchande en offrande.

On se nourrit de la mort pour mieux vivre.

Les carcasses de poulet gisent au beau milieu des foies d’agneau gélatineux, des cervelles et des tripes, n’attendant que les charognards pour venir les dépecer. En chapelle ardente, les carottes et les navets deviennent flasques et fatigués, et devront se déshabiller de leur pelure pour retrouver un peu de leur fraîcheur perdue.

Le cortège funèbre défile tristement à travers la petite rue du marché où les croque-morts se donnent rendez-vous tous les jours pour choisir leurs cadavres exquis. Leur sang et leur jus couleront à flots et saliront les mains de leurs bourreaux avant de finir entassés dans un panier aux allures de cercueil. Personne ne portera le deuil. Les vies achevées en ce matin du mois de mai ne feront pas pleurer. Au contraire, la plupart se réjouiront du massacre, viendront se repaître de ces beaux restes, et s’arracher leur dernière dignité. D’aucuns n’auront de pensée pour les chairs écartelées, les racines arrachées, la bidoche broyée. Tous jubileront devant ce festin fallacieux, persuadés que la mort a bien bon goût.


Estelle Bonetto

Estelle Bonetto

Diplômée de l’Université de Montpellier (France) et de l’Université de Regina (Saskatchewan) en linguistique et études françaises, Estelle est artiste multimédia, auteure et traductrice. En 2018, elle publie son premier recueil de poésie photographique, À fleur d’âge, aux Éditions de la nouvelle plume. Estelle a récemment remporté le 3e prix dans la catégorie « poésie » au premier Concours de créations littéraires du Nord et de l’Ouest canadiens 2022. Pour Estelle, l’art est aussi une façon de « provoquer la rencontre », d’aller vers l’autre, de découvrir son univers et de se laisser toucher par son humanité individuelle et collective.

Imprimer
6030
RAFA-ACO-10-2023
Séduction à Vancouver
Cabaret littéraire 6 octobre 2024
Lancement de Le musée des objets perdus

Printemps 2017

Un jour de grand vent (extrait) Un jour de grand vent (extrait)

Mardi le 10 mai ’66. De bonne heure le matin, au Restaurant Lafontaine à Métabetchouan au Lac-Saint-Jean. L’accent du Lac est présent à différents degrés chez les personnages. Il affecte en particulier Monsieur Pit, un sympathique septuagénaire à la retraite. Jeannot Lafontaine, douze ans, est debout derrière le comptoir. Il porte son uniforme d’écolier  sous un tablier. Monsieur Pit est assis à son...

La Voie lactée La Voie lactée

Il était une fois,
au fin fond du Far West canadien,
dans une province au nom imprononçable,
une cavalière redoutable.

Le grand barrage

À défaut d'être aimé, Henri était respecté de tous les castors. Sa supériorité ne laissait aucun doute. On n'avait qu'à regarder son barrage pour comprendre qu'il était plus doué que les autres.

Knockout

L’aiguille de glace qui arracha Victor Florkowski à la vie ressemblait à un ivoire de mammouth. Elle était aussi large qu’un pneu, aussi longue que la victime, et se rétrécissait en une pointe cristalline —  à double tranchant — dont la beauté fatale resplendissait sous clair de lune.

Cantate pour légumes (Extrait)

Au cœur de ce texte sont quatre êtres qui ont perdu leur voix, la capacité d’exprimer leur volonté et leur angoisse. Ancrés dans leurs fauteuils roulants, Asperge, Gourde, Navet et Asperge rêvent d’évasion. Dans les solos de la cantate, les légumes expriment leurs désires les plus profonds.

Triptyque - Micro nouvelles Triptyque - Micro nouvelles

Au coin de l’avenue Idylwyld et la 23e un bip discontinu se fait entendre à ma gauche. Un clignotement sonore: on peut traverser.  Entre les deux lignes on peut traverser. “Passez, monsieur. Priorité aux piétons.” Oui, on peut traverser. On peut traverser si les autos s’arrêtent.

Entreciel

Sorties de l’entretoit des corniches des greniers de mille espaces connus d’elles seules oubliés par concierges et architectes, les hirondelles occupent dès le matin l’entreciel, la part élevée de Madrid, en rase-tête des habitants des terrasses jusqu’à la proximité des saints perchoirs, des croix des antennes, faisant fi de nos communications avec l’au-delà.

La mousse La mousse

Maman, pourquoi c’est mouillé ici? 

C’est la mousse, mon chéri. Fais attention à ne pas glisser.

De la supercherie De la supercherie

Cette réflexion est née d’un constat. La vie ne nous appartient pas. Elle nous a été léguée et nous la rendrons en même temps que notre dernier souffle.

No content

A problem occurred while loading content.

Previous Next

Merci à nos partenaires et commanditaires:

Coopérative des publications fransaskoises    Conseil culturel fransaskois   Saskculture Fondation fransaskoise