Numéro 1 - Printemps 2017

***

Moi non plus #moiaussi


Moi non plus #moiaussi

Essai

moinonplus
Illustration : Zoé Zénon
J’ai cherché en vain une combinaison de mots qui aurait pu me mettre sur la piste d’un quelconque indice, que la réalité du passé aurait pu laisser comme trace. J’ai passé des heures inutiles à bien vouloir me convaincre d’une chose qui ne s’est, au fond, peut-être jamais produite.

Je ne sais plus vraiment. Mes heures inutiles à lire à propos des grandes réalisations d’une ancienne rivale, une friendenemie en quelque sorte, compagne dans le crime, ont été entre autres déclenchées par deux choses ; le mot-clic « moi aussi », qui avait envahi la toile cette semaine-là et puis l’influence fictive de l’héroïne de Millénium 5, que je lisais entre deux « non-sommeils » d’après-midi, et qui retrouve tous les éléments du passé en un clic.

Les inutilités temporelles d’Internet ou la chronophagie du Web, avaient mis en évidence deux choses élémentaires assez banales. Je n’étais pas Lisbeth Salander, une hackeuse de génie, et je n’avais jamais été violée. Mais le doute a persisté.

J’avais confondu cet amour-là, célèbre, avec l’innocence du passé, et la naïveté première, impressionnée ou aveuglée par la délicatesse d’un geste abusif, d’une célébrité dévoilée, vieillotte, fascinante à la fois, qui a toujours, à mon souvenir, préparé tendrement le déjeuner au lendemain des nuits et des faits dont je ne sais plus s’ils étaient tendres ou violents.

Et puis je confonds les années, les espaces, les personnages et la durée de l’histoire. Une saison, des années, quelques mois… J’ai parcouru l’Internet, les fils Twitter, en attendant, que lui aussi, sa tête tombe comme les autres.

Mais elle n’est jamais tombée et elle ne tombera jamais. Il n’était qu’un grand charmeur enjoliste (pardonnez-moi l’invention du mot), qui a peut-être abusé de la facilité de l’accès à la liste des numéros de téléphone des bénévoles d’un festival d’art quelconque sur lequel il veillait comme un grand manitou depuis tant d’années.

Est-ce que je confonds encore tout et que soudainement je réalise peut-être que j’ai donné mon consentement à ce premier appel par responsable interposé. Je ne sais plus. Tout se confond. Le désir d’être victime pour mieux s’innocenter soi-même est plus fort que tous les moindres souvenirs douteux.

Peut-être aussi que mon strabisme et mes grands yeux bleus m’ont fait paraître la plus facilement manipulable. Je ne sais vraiment plus à qui est la faute. La sienne ou la mienne ?

Je ne me pardonne pas et j’essaye donc de trouver les preuves d’un viol ordinaire qui n’a finalement sûrement jamais eu lieu, puisque les faux souvenirs semblent réels.

Je ne me souviens pas exactement non plus avoir déballé ou non le tout à ma mère. Je pense que oui, mais même encore là, je n’en suis pas certaine. J’ai oublié. J’ai effacé des choses et je ne lui demanderai jamais sa validation.

Mais cet effacement des souvenirs est peut-être la preuve de sa culpabilité et de mon traumatisme, mais je n’en suis pas si certaine. Et le doute persiste.

Mon écriture et ses temps de verbe mal accordés se confondent. Ce n’est plus que des bribes, qu’une liste de pour et de contre, d’éparpillements montréalais, d’années, de laps de temps[1] bizarres. J’ai avalé un philtre d’amour, pour mieux supporter l’abus d’un geste, l’abus d’un grand charmeur, libidineux, sorti tout droit d’une autre époque. Voilà le grand drame d’une chose que j’aurais voulu garder enfouie et garder effacée dans la corbeille du disque dur de ma tête, mais elle est revenue. Elle est revenue sur l’écran d’accueil du bureau avec toutes ces histoires de têtes célèbres qui tombaient depuis le début de cette semaine-là.

J’ai attendu en vain que son nom apparaisse au travers des mots-clics. Mais son nom n’est jamais apparu puisqu’il a vu le vent venir, qu’il a reculé en sentant venir la tempête.

Des hommes de pouvoir, chaque jour, sont tombés cette semaine-là. Et j’ai été obsédée par les tendances Twitter à chaque putain de seconde, à chaque petit moment d’ennui, en espérant que son nom finisse par apparaître et que je ne sois pas la seule prise entre le sentiment d’avoir aimé et d’avoir été flouée tout à la fois.

Voir apparaître son nom m’aurait rassurée et m’aurait rappelé que je n’ai pas seulement été une amoureuse innocente et éconduite, mais bien juste une victime abusée, puisqu’il est plus acceptable de se placer dans la seconde catégorie.

Je suis tombée amoureuse au lieu de me rendre compte intelligemment que cette histoire n’avait pas de sens. Je n’ai confondu viol et amour que des années plus tard, pour ne pas voir la vraie réalité et pour ne pas accepter que j’avais aimé plutôt que d’avoir été abusée.

Combien sommes-nous comme cela, complètement tordues et flouées dans tous les cas ? À avoir éprouvé du désir et du plaisir à l’intérieur d’un abus de pouvoir.

C’est ça, un grand drame ordinaire, ajouté à la confusion des souvenirs instables, imprécis et pas fiables.

Et comment un homme aussi laid et aussi vieux, à l’âge que j’avais, à peine sortie de l’adolescence tardive, a bien pu avoir si facilement eu raison de ma raison ?

Peut-être n’étais-je qu’une cible idéale, comme je le disais ; les yeux bleus, des yeux croches, mais jolie, mais relativement stupide. Atterrie depuis quelque temps dans une grande ville trop grande, sortant tout droit de la campagne profonde et voulant se frotter innocemment à la grande classe, pour pouvoir monter aux étoiles de Montréal. Ceux qui ont leurs échos chez les plus grands artistes et qui brillent jusqu’au bout du monde.

J’essaye juste, en écrivant ceci, de pardonner à la petite fille adulte que j’ai été et de pardonner à la femme que je n’ai pas vraiment voulu devenir.

Je ne suis qu’un produit de ma classe sociale qui a tenté de s’émanciper un peu, tout juste dans l’ombre pour ne pas prendre trop de place.

Avoir 18 ou 19 ans (c’est probablement l’âge que j’avais), c’est à la fois trop vieux pour jouer la carte de l’innocence, et c’est trop jeune pour pouvoir se pardonner réellement.

Et tout ça, c’est le grand drame ordinaire de milliers de femmes anonymes et invisibles que le grand monstre et les grands méchants loups du 5 octobre dernier ont réveillé.


 [EB1]Pas certaine que ce laps soit voulu, j’imagine que oui.

Imprimer
5170

Printemps 2017

Un jour de grand vent (extrait) Un jour de grand vent (extrait)

Mardi le 10 mai ’66. De bonne heure le matin, au Restaurant Lafontaine à Métabetchouan au Lac-Saint-Jean. L’accent du Lac est présent à différents degrés chez les personnages. Il affecte en particulier Monsieur Pit, un sympathique septuagénaire à la retraite. Jeannot Lafontaine, douze ans, est debout derrière le comptoir. Il porte son uniforme d’écolier  sous un tablier. Monsieur Pit est assis à son...

La Voie lactée La Voie lactée

Il était une fois,
au fin fond du Far West canadien,
dans une province au nom imprononçable,
une cavalière redoutable.

Le grand barrage

À défaut d'être aimé, Henri était respecté de tous les castors. Sa supériorité ne laissait aucun doute. On n'avait qu'à regarder son barrage pour comprendre qu'il était plus doué que les autres.

Knockout

L’aiguille de glace qui arracha Victor Florkowski à la vie ressemblait à un ivoire de mammouth. Elle était aussi large qu’un pneu, aussi longue que la victime, et se rétrécissait en une pointe cristalline —  à double tranchant — dont la beauté fatale resplendissait sous clair de lune.

Cantate pour légumes (Extrait)

Au cœur de ce texte sont quatre êtres qui ont perdu leur voix, la capacité d’exprimer leur volonté et leur angoisse. Ancrés dans leurs fauteuils roulants, Asperge, Gourde, Navet et Asperge rêvent d’évasion. Dans les solos de la cantate, les légumes expriment leurs désires les plus profonds.

Triptyque - Micro nouvelles Triptyque - Micro nouvelles

Au coin de l’avenue Idylwyld et la 23e un bip discontinu se fait entendre à ma gauche. Un clignotement sonore: on peut traverser.  Entre les deux lignes on peut traverser. “Passez, monsieur. Priorité aux piétons.” Oui, on peut traverser. On peut traverser si les autos s’arrêtent.

Entreciel

Sorties de l’entretoit des corniches des greniers de mille espaces connus d’elles seules oubliés par concierges et architectes, les hirondelles occupent dès le matin l’entreciel, la part élevée de Madrid, en rase-tête des habitants des terrasses jusqu’à la proximité des saints perchoirs, des croix des antennes, faisant fi de nos communications avec l’au-delà.

La mousse La mousse

Maman, pourquoi c’est mouillé ici? 

C’est la mousse, mon chéri. Fais attention à ne pas glisser.

De la supercherie De la supercherie

Cette réflexion est née d’un constat. La vie ne nous appartient pas. Elle nous a été léguée et nous la rendrons en même temps que notre dernier souffle.

No content

A problem occurred while loading content.

Previous Next

Merci à nos partenaires et commanditaires:

Coopérative des publications fransaskoises    Conseil culturel fransaskois   Saskculture Fondation fransaskoise