Là où la terre rencontre le ciel

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Là où la terre rencontre le ciel

Michel Clément (Saskatchewan)

Michel Clément

Michel Clément

Michel Clément est originaire de Gatineau (Qc) ou il a travaillé et enseigné pendant plusieurs années avant de partir sept ans en Asie du Sud-Est comme professeur dans des écoles internationales. De retour au Canada, il s’est installé en Saskatchewan où il est devenu entrepreneur dans le domaine de l’éducation. Il écrit des romans, des nouvelles, des pièces de théâtre, des scénarios de bandes dessinées et ce depuis plusieurs années.

Le soleil décida de se pointer le nez juste au moment où il entra en ville.  C’est malgré tout trempé jusqu’aux os qu’il aboutit à l’auberge de madame Wells, « The Grand Hotel ». Elle n’avait pas vraiment été loin dans l’imaginaire pour trouver ce nom, surtout que c’était loin d’être ni le plus grand et certainement pas le plus chic, mais il y avait ici deux choses que Wilbur appréciait grandement : de l’excellente bouffe, et des filles. Pour ce qui est du confort, il n’y avait pas grand-chose à Regina qui ne pouvait battre son lit de paille improvisé qui l’attendait dans sa cabane particulière des Badlands. 

Ayant mis le cheval dans l’écurie et l’ayant dorloté un brin,, il entra dans le saloon principal pour se retrouver nez à nez avec la patronne qui lui sourit de ce qui lui restait de dents.

-    Eh bien, si c’est pas Wilbur, pour l’amour, t’as décidé de faire trempette dans la Wascana avant d’arriver. Tu ne fais plus confiance à mes bains bien chauds. 

Un petit rire emplit la pièce. Une dizaine de clients mangeaient tranquillement tout en s’offrant une jasette avec les quelques filles présentes.

-    Un bain bien chaud serait certainement la bienvenue, madame Wells, avec un de vos bons ragoûts. Si vous pouviez me prêter quelques vêtements secs d’ici à ce que mes pauvres membres puissent reprendre vigueur, ça serait apprécié.

-    Mais tu t’es trompé de bâtisse mon petit chéri, le magasin général c’est trois rues plus loin.  Les vêtements secs qu’on a ici ne sont pas tout à fait adaptés à ta carrure masculine à moins que tu n’aies pas d’objection à porter la robe.

Cette fois l’hilarité fut générale. Wilbur n’en fit pas de cas, il connaissait bien l’humour sarcastique et pointu de madame Wells.

-    Je ne suis pas un expert comme vous, mais je crois que les sous-vêtements de vos protégées sont passablement similaires aux nôtres et qu’on n’y verra pas de différence.

-    On ne se pointe pas dans une auberge en sous-vêtements mon petit gars, c’est réservé pour les chambres en haut. Allez viens, on va t’arranger ça dans la cuisine. Tu n’es pas pour aller me fichtre une rumeur qui peut se rendre jusqu’aux oreilles de monsieur le curé,  il y en a déjà suffisamment, pas besoin d’en rajouter les rares fois où tu te pointes le nez.

Wilbur fut entraîné dans une pièce à part, légèrement en retrait du bâtiment principal. La cuisine était isolée par un mur de pierres et un large panneau de métal, question d’assurer une protection contre le feu qui, dans une auberge semblable, couvait presque 24 heures par jour. Dans le foyer s’alignaient des seaux d’eau chaude et un chaudron de soupe était suspendu à de petites chaînes accrochées sur les crochets du haut du foyer. Il y avait trois fours, tous bien bourrés de bois et de charbon. Des gigots rôtissaient dans les entrailles du plus gros et des ragoûts mijotaient sur le dessus des deux autres. Il faisait bon dans la cuisine, c’était chaud et ça sentait le parfum de bœuf et d’herbes de prairie. 

La jeune fille affectée à la soupe lui servit un bol d’orge avec des bouchées de bœuf agrémentées d’un pichet d’eau de pluie fraîche. Madame Wells arriva avec un vêtement d’une pièce qui ressemblait à un pyjama, bien masculin d’ailleurs, et le lança sur la table.

- Allez, enfile ça chéri, je pense bien que c’est au moins plus large que ta taille. Cathy, donne-lui un coup de main et flanque-moi ces guenilles trempées devant le foyer de la salle d’amis, que ça puisse sécher avant qu’il ne se décide à aller au lit.

Cathy aida Wilbur à se débarrasser de la redingote rouge, du gilet de laine blanc et de la camisole qui tous étaient trempés à en suer de grosses gouttes par terre. Wilbur s’occupa de son pantalon, des bas et du caleçon pendant que la jeune Cathy passa de l’autre bord pour la salle d’ami, qui était en fait la salle où se réunissaient les filles quand elles avaient un temps de libre, ou pas de clients à l’horizon.  Le pyjama était effectivement trop grand et il dut rouler les bords des manches et du pantalon. Ce n’était pas non plus l’idéal pour avaler sa soupe sans risquer de tremper le tissu lousse dedans.

Une fois revenue à la cuisine, Cathy lui servit une assiette de ragoût en lui enlevant le bol de soupe qu’il avait avalé gloutonnement.

- Vous venez d’où?  lui demanda-t-elle, uniquement pour entamer la conversation. Une habitude professionnelle bien typique de ces demoiselles de charme qui vivaient dans ces hôtels.

- De Montréal lui répondit-il

- Vraiment, je n’ai pas entendu le train. Ne sommes-nous pas jeudi, je croyais qu’il n’y avait des trains venant du pays que les samedis.

Wilbur sourit et laissa aller un petit rire du bout des lèvres.

- Je suis originaire de Montréal, mais je suis dans les Terres de Rupert depuis au moins trois ans. J’ai ma station dans le Sud près des Badlands dans la section d’Assiniboine.

-    Ah bon, et… c’est loin.

- (Nouveau sourire) Sur une carriole brisée avec un cheval fatigué, une route amochée et détrempée, ça fait bien au moins trois jours de brassage de fesses. Vous êtes nouvelle dans le coin, la géographie ne semble pas être votre fort.

- La géo quoi? Vous êtes dans le genre éducation vous. J’imagine que c’est comme ça à Montréal. C’est aussi beau qu’on le dit?

- C’est une belle ville oui. Il y a beaucoup à faire. Plusieurs parcs et bourrées d’église, certains osent même l’appeler la ville aux cent clochers.

- Alors si vous êtes de Montréal et que vous êtes ici. Vous faites quoi au juste dans cette Assiniboine.

- Badlands, je suis agronome-géologue. (Cathy le fixa des yeux, attendant une seconde phrase explicative), heu, j’étudie les roches, enfin le sol.

- Vous cherchez de l’or?

- Ha ha ha! Non, je cherche des terres qui peuvent servir à l’agriculture, au fourrage ou à l’élevage. Je travaille pour le gouvernement, vous savez c’est quoi?

Elle fit oui de la tête.

- Bon, alors mon job est de trouver des endroits où plus tard des fermiers pourront s’établir et bâtir une ferme ou un terrain de pâturage pour des bœufs, des moutons ou quoi que ce soit.

- C’est payant?

- Assez pour passer quelques nuits au Grand Hotel de Regina en bonne compagnie. 

Elle eut un léger sourire en coin puis se tourna vers un chaudron qui bouillait trop fort et envoyait des flaques d’eau brûlante sur le dessus surchauffé du four. Elle ouvrit le tiroir à feu et avec une perche tenta de replacer les bûches de façon à retenir un brin la force du foyer. Elle sursauta quand Wilbur apparut juste à côté d’elle en prenant la perche de sa main.

- Je vais vous aider.

Habilement, Wilbur tourna les bûches et les empila dans un coin de manière à calmer la circulation d’air. Le feu s’adoucit et se fit plus docile. La marmite cessa ses éclatements d’eau bouillante.

- Vous savez cuisiner, dit-elle assurément surprise.

- Bien sûr, comment voulez-vous survivre dans le fonds des Badlands tout seul sans savoir cuisiner. On mourrait de faim bien vite.

Cathy, pris quelques assiettes, les remplit de ragoût avec quelques légumes et quitta vers la salle à manger pour servir ses clients. Elle revint assez vite et versa du vin dans des coupes de verres grossiers et en offrit un à Wilbur.

- Prenez, c’est sur mon compte dit-elle avec un large sourire.

- Merci

- Vous ne vous sentez pas seul parfois aussi loin dans vos Badlands, on dirait à vous entendre qu’il n’y a pas grand monde dans le secteur.

- Ça arrive.

Cathy attendit une autre phrase, mais elle ne vint pas. Wilbur porta la coupe à ses lèvres et but lentement le nectar légèrement vinaigré de ce vieux vin qui, au fond, lui faisait quand même du bien. Cathy tourna les talons, passa la porte et retourna dans la grande salle.

Wilbur termina son ragoût, se leva pour secouer quelques chaudrons et poêles puis se permit de prendre un peu plus de viande et de soupe à l’orge qu’il avala lentement, avec appétit. Il se sentait beaucoup mieux. La chaleur avait rejoint ses os en passant par ses muscles et il n’avait plus de trémoussement de chair de poule qui avait été son lot pendant presque toute la fin de son parcours pour Regina. Madame Wells entra dans la cuisine.

- Alors mon chéri, mieux en forme avec une panse remplie.

- Et des membres réchauffés. Merci, Alyce, ça fait du bien.

- Bon, hé bien, tu vas rester dans ma cuisine ou tu vas aller poser tes fesses dans une chambre. Ça va faire mieux avec ta tenue.

- J’ai bientôt fini.

- La 15 est libre. Je vais t’envoyer la clé, tu grimpes là-haut au plus vite, on bosse ici mon grand.

Wilbur termina son ragoût et sa soupe, prit le verre de vin et un pichet alors que Cathy entra avec la clé. Elle l’escorta en haut de l’escalier de service qui se trouvait dans l’arrière-scène de l’hôtel. La 15 était justement à la droite au premier étage.

- Reposez-vous bien et faites de beaux rêves, monsieur de Montréal.

- Wilbur, je m’appelle Wilbur, et vous?

- Cathy.

- Votre vrai nom s’il vous plaît.

- Catherine d’Arnois, de Winnipeg, en station à Regina pour l’instant d’ici à ce que je puisse me permettre d’aller plus loin. Ça vous va? dit-elle avec un sourire narquois.


Illustration : Aelwen Clément

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