À ciel ouvert 9 - Automne 2022

Numéro spécial consacré à: 

Identités marginalisées, diversité et esprit d’inclusion
dans le théâtre de l’Ouest canadien

Conférence présentée les 29 et 30 octobre 2022 à Saskatoon, Saskatchewan
par le Collectif d’études partenariales de la Fransaskoisie,
l’Université de la Saskatchewan, et Acfas Saskatchewan.


 

Créations théâtrales

Seream C.H.
/ Catégories: Récit, 5 Printemps 2019, Poésie

Cité 47

Seream C.H.

Photo : Louise Dandeneau

Photo : Louise Dandeneau

1er poème (Cité 47)

 

1

Quand l’aube fine attardée faisait fondre nos cauchemars

Les corbeaux du matin prenaient place sur les toits

Et notre cité perdue couvrait le tintamarre

Des grondements dociles de nos âmes aux abois…

De nos âmes aux abois.

 

2

Quand les nuages austères survolaient le quartier

Nous gerbions à la chaîne les vestiges de nos rêves

Et notre cité fantôme adoucie par nos pieds

S’offrait le luxe teigneux de nous faxer la trêve…

De nous faxer la trêve.

 

3

Quand les hordes de frelons descendaient dans nos rues

Les bébés assoiffés s’échappaient des poussettes

Et notre cité vaincue par les rides distordues

S’adonnait au pogo, mais jamais aux pincettes…

Mais jamais aux pincettes.

 

4

Quand nos enfances sortaient du dédale des garages

L’aire de jeux des vieillards venait juste de fermer

Et notre cité de pierre insensible aux mirages

Laissait planer dans l’air une sensation cernée…

Une sensation cernée.

 

5

Quand l’oracle attardé nous présentait du vide

Sur les reflets livides d’interfaces anonymes

Le parme sur la cité capricieuse et aride

Nous faisait oublier que vivre n’est pas un crime…

Que vivre n’est pas un crime.

 

6

Quant à la dérobade nous sortions des chemins

Les hyènes casquées veillaient sur l’aiguille du vumètre

Et notre cité antique se prenait par la main

Avec des rires brillants et du linge aux fenêtres…

Et du linge aux fenêtres.

 

 

7

Quand nos balcons brillaient une fois la lune en place

Nous rendions aux étoiles leurs chimères infinies

De nuit notre cité se changeait en palace

Une lueur nous suivait au bout des insomnies…

Au bout des insomnies.

 

8

Quand la rouille et la ruine se léchaient sur les bancs

Une main dans les tuyaux et l’autre sur les façades

Notre cité bleutée quantifiait le néant

Et des queues de sirènes nous chantaient des brimades…

Nous chantaient des brimades.

 

9

Quand les avances obscènes de nos hydres enjôleuses

Ne ressemblaient jamais à de jolis mots doux

Notre cité marbrée s’en tapait les valseuses

Et sur les monolithes nous gravions du hibou…

Nous gravions du hibou.

 

10

Quand les nouvelles fissures ne se remarquaient plus

Il fallait éviter d’y laisser son pied droit

Dans la cité sauvage où croulaient les exclus

Et les chiens perdus qui n’avaient pas de roi…

Qui n’avaient pas de roi.

 

11

Quand nos rimes inspirées muaient en hiéroglyphes

Pour exprimer l’époque en visitant des crânes

Notre cité céleste s’écroulait sous les gifles

Dans un climax parfait, parfait pour les chicanes…

Parfait pour les chicanes.

 

12

Quand les bourreaux marchaient en levant leurs cagoules

Loin des ruelles fangeuses bordées de rats crevés

Notre cité de sable louait des dieux mabouls

Prêts au moindre caprice à nous foutre une fessée…

À nous foutre une fessée.

 

 

13

Quand l’ange halluciné réparait son lance-flammes

Sur les marches affolées du temple des initiés

Notre cité souillée distribuait la came

Le jour J à heures fixes et les fix remboursés…

Et les fixs remboursés.

 

14

Quand les scories du rien débordaient du néant

Emportant dans ses flots nos cernes et nos mémoires

Notre cité hybride recollait ses fragments

Et colmatait les brèches et les trous des trottoirs…

Et les trous des trottoirs.

 

15

Quand le ciel s’abaissait, nous pouvions le toucher

Si l’usine à paillettes retrouvait ses fusibles

Car notre cité en rade s’inventait des enfants

Aux mollets écorchés et aux rêves impossibles…

Et aux rêves impossibles.

 

16

Quand nos muses fatiguaient à maintenir la pause

Dans la lumière morose du blanc des abattoirs

Notre cité charnelle exhibait ses mycoses

Et soignaient nos gri-gris jusqu’au fond des tiroirs…

Jusqu’au fond des tiroirs.

 

17

Quand la marée jaunie déjouait les horaires

Il nous fallait garder du charbon pour la fête

Car notre cité frileuse se moquait de l’hiver

Et des rations de chair pour faire passer les miettes…

Pour faire passer les miettes.

 

18

Quand le tonnerre grondait dans le double vitrage

Le sable des baies brisées déroutait nos visions

Et notre cité tronquée devant tous les naufrages

Balançaient des bouées sans aucune conviction…

Sans aucune conviction.

 

 

19

Quand l’azur déposait son bleu mélancolique

À la sortie des classes vers les routes sans retour

Notre cité interdite se fendait à l’oblique

Et tous nos raccourcis s’allongeaient en détours…

S’allongeaient en détours.

 

20

Quand les runes mélangées trépignaient sur la table

Pour nous prédire l’avenir avec ou sans baillons

Notre cité câline assénait dans ses râles

Des cyclones oubliés et de vieux tourbillons…

Et de vieux tourbillons.

 

21

Quand les égouts coulaient dans le sens du soleil

Avec la pestilence des charmes invendus

Notre cité maudite nous réglait le réveil

Sur l’heure de l’agonie à la trappe aux pendus…

À la trappe aux pendus.

 

 

22

Quand le fiel dans les gènes se fondait aux salives

Nos crachats comme l’acide grignotaient les bâtisses

Et notre cité aveugle sous la grêle intensive

Découvrait la poussière jusqu’au bord des calices…

Jusqu’au bord des calices.

 

23

Quand les impacts broyaient en toute sérénité

Nos cloisons démontées sous les cris des louveteaux

Notre cité cramée par ses fées entêtées

Refusaient de pencher dans le sens des berceaux…

Dans le sens des berceaux.

 

24

Quand sur les terrains vagues nous comptions les tuer

Dans l’air pulvérisé d’un répit inquiétant

Notre cité en sursis conservait son passé 

Qui tenait dans la poche comme des p’tits cailloux blancs…

Comme des p’tits cailloux blancs.

 

 

25

Quand la pâleur extrême des profils tourmentés

Donnaient au quotidien des éclats maladifs

Notre cité diaphane aux desseins consumés

Jouait avec nos nerfs et nos liens affectifs…

Et nos liens affectifs.

 

26

Quand les minutes fébriles sur notre écran stellaire

S’allongeaient dans l’ennui pour mieux nous retarder

Notre cité bancale bâtie sur des repères

Confondait son poids brut avec la densité…

Avec la densité.

 

27

Quand nos pactes empressés qui n’engageaient que nous

Titillaient nos souvenirs à nous rendre indomptables

Notre cité consumée ravalait son dégoût

Connaissant les faiblesses de l’ère insupportable…

De l’ère insupportable.

 

28

Quand les légendes officielles se trompaient de discours

Nous n’avions plus la foi d’amuser les petits

Et notre cité transie n’attendait rien du jour

Ni même des cotillons ni même des confettis…

Ni même des confettis.

 

 

29

Quand les arènes désertes changeaient de silhouette

Les vitraux éclatés laissaient passer l’esprit

Et notre cité calcaire n’avait plus de brouette

Pour planquer les gravats et toutes sortes de débris…

Et toutes sortes de débris.

 

30

Quand notre hymne hibernal se reprenait en chœur

En claquant des molaires au rythme des frimas

Notre cité sans visage cédait tout son secteur

À la fragilité et au mauvais karma…

Et au mauvais karma.

 

 

31

Quand la pierre angulaire bullait des ronds dans l’eau

Les passants éreintés à l’âme bien accrochée

Traversait la cité connectée par défaut

Lasse de ses précipices et de ses tours penchées…

Et de ses tours penchées.

 

32

Quand l’asphalte déteignait sur le rose de nos joues

Dans une brise de tristesse à faire chialer les merles

Notre cité insipide empirait comme nos fous

Bons pour la camisole où a chassé les perles…

Ou à chasser les perles.

 

33

Quand nos silex craintifs taillaient les séquoias

C’est qu’il manquait des planches pour couvrir nos greniers

Et notre cité humide avait droit au débat

Ajoutant au désastre la liste des épargnés…

La liste des épargnés.

 

34

Quand notre paysage se floutait de détresse

Nous reprenions le pain jeté à nos pigeons

Et notre cité transfert revendait les caresses

À l’abri des radars à ronger nos moignons…

À ronger nos moignons.

 

35

Quand nos gilets pare-balles inspiraient la grande mode

On se prêtait nos casques sous les électrochocs

Et notre cité fourbue accumulait les codes

Comme les panneaux indignes « Attention chute de blocs » …

« Attention chute de blocs »

 

 

36

Quand les astéroïdes nous prenaient plus pour cible

Pour ne pas se salir de la boue arriérée

Notre cité effacée à l’avenir peu crédible

Voyait ses murs tremblés et les mères atterrées…

Et les mères atterrées.

 

37

Quand les torpilles glissaient pour humer le carnage

À travers les tuyaux via nos robinets

Notre cité plombée regardait le carrelage

Éclater dans les douches et dans les cabinets…

Et dans les cabinets.

 

38

« Sont-ce des armées aveugles dressées pour mieux détruire

Le moindre signe de vie au moindre signe de tête

De notre cité cynique assignée à s’enfuir

Avec ses plus beaux restes plus fragiles qu’une maquette…

Plus fragiles qu’une maquette ? »

 

39

Quand les ténèbres fendaient le cœur de nos aurores

Comme une bûche de mélèze sous la hache affûtée

Notre cité accablante tiraillée de tous bords

Morcelait sa plastique battue et percutée…

Battue et percutée.

 

40

Quand nos regards gothiques heurtaient l’antimatière

Pour annuler le cycle de la nature coincée

Notre cité salie misait la der des ders

Sur une table de camping au milieu du cimetière…

Au milieu du cimetière.

 

41

Quand les devins sevrés de la fin programmée

Flirtaient dans l’inutile du dénouement exquis

Notre cité faisandée par nos tripes exhibées

Bectaient à la volée les cendres de nos biscuits…

Les cendres de nos biscuits.

 

42

Quand les astres alignés valaient un bon augure

C’est que les grands sorciers se mettaient l’poing dans l’œil

Et notre cité proscrite bardée de points de suture

Ne tirait plus de plans pour toréer l’écueil…

Pour toréer l’écueil.

 

 

 

43

Quand les courroux tombaient comme un vol de feuilles mortes

Il restait nos stigmates pour encaisser les coups

Et notre cité rasée confessait son escorte

Remontant des décombres avançant à genoux…

Avançant à genoux.

 

44

Quand la déliquescence des larmes de nos abris

Suintait comme de la cire brûlante de mille chandelles

Notre cité condamnée par toutes les pénuries

Agitait l’drapeau blanc picoré d’étincelles…

Picoré d’étincelles.

 

45

Quant au bout des pelotes il manquait du mouton

Nous mations les déluges toujours sans nous mouiller

Notre cité exilée atrophiée à foison

Savait que les prières n’éviteraient pas le bourbier…

N’éviteraient pas le bourbier.

 

46

Quand les charniers s’offraient le luxe d’inviter

Les enfants orphelins qui cherchaient une issue

Notre cité reléguée au fondement inquiété

Maintenant était vide comme le cœur d’un déçu…

Comme le cœur d’un déçu.

 

47

C’était le jour d’avant le jour d’après

Le jour avait perdu son nom

Notre cité ne l’avait pas fait exprès

Elle aussi avait perdu son nom, mais pour d’autres raisons…

Mais pour d’autres raisons.

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Les artisans de ce numéro

Coordination de la publication :
Jeffrey Klassen

Comité de rédaction :
Jeffrey Klassen, Marie-Diane Clarke, Henri Biahé, Jean-Pierre Picard, Mychèle Fortin

Auteur·e·s :

  • Mamadou Bah
  • David Baudemont
  • Estelle  Bonetto
  • Michael Bowden
  • Marie-Diane Clarke
  • Rémi Labrecque
  • Yvette Nolan

Illustration de la page couverture: 
Marylène Portaneri

Mise en page et mise en ligne :
Jean-Pierre Picard

Parrainage et hébergement du site :

Coopérative des publications fransaskoises

Ce numéro d'À ciel ouvert est le fruit d'un partenariat avec le Collectif d'études partenariales de la fransaskoisie

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