Je suis redevenue goutte un jour de pluie après un très long voyage. Ce matin-là, mes semblables et moi étions portées par les courants aériens bien au-dessus du vol des oiseaux les plus téméraires.
Nous étions nuage.
Nous aurions pu faire le tour de la terre ainsi, mais un front froid nous a précipitées en chute libre vers le sol. Quel vertige. Je m’éloignais du nuage, maintenant seule, plongeant vers l’inconnu. Nous filions toutes vers un sort incertain.
Nous étions pluie.
Allais-je m’aplatir sur un stationnement? Abreuver une terre assoiffée? Imbiber un chapeau? Lorsque ma longue chute s’interrompit, je fus bercée par un doux flottement, presque immobile. J’étais entourée de plusieurs de mes semblables, issues du même nuage et d’une multitude, issue d’autres voyages.
Nous étions lac.
Puis au fil des saisons et du vent nous nous sommes lentement déplacées vers une rive où une ouverture nous a aspirées.
Nous étions ruisseau.
Pendant des jours, nous avons coulé paisiblement à travers mille paysages. Jusqu’au jour où nous nous sommes jetées dans un immense cours d’eau grossissant au fil de son chapelet de ruisseaux accueillis.
Nous étions rivière.
Au bout d’une éternité, nous avons plongé au-delà des rives. Là où la terre n’existe plus. Où l’eau domine le paysage à perte de vue. Obéissant aux vents et aux marées, nous sommes devenues fougueuses et fortes, transportant navires et usant les côtes des continents.
Nous étions océan.
Puis, un jour, je me suis retrouvée au sommet d’une immense vague qui a terminé sa course avec fracas sur un rocher. Nous étions quelques-unes, dans une aspérité du roc, abandonnées par le ressac.
Nous étions flaque.
Sous le soleil, je me suis sentie devenir légère, prête à redevenir nuage.
Jean-Pierre Picard