Éclair / Thunderbolt – B
Crédit : Anne Brochures -Lambert
Même si le haïku est une forme littéraire ancienne, son antiquité pâlit face à celle des Psaumes. Depuis environ trois mille ans, le Livre des Psaumes joue un rôle important dans la quête spirituelle d’innombrables chercheurs.
Ces deux genres, haïkus et Psaumes, s’opposent à bien des égards. Les haïkus doivent être esthétiques, les Psaumes sont plutôt didactiques. Alors que les haïkus cherchent le concret et l’immédiat, les Psaumes sont ancrés dans le lyrique et l’éternel. Tandis que les haïkus évitent la subjectivité, les Psaumes n’auraient pu être écrits sans la narration à la première personne. Le haïku est né du détachement zen, le psaume, lui, de la croyance judaïque. Vu ces divergences, un projet de haïkus portant sur les Psaumes a de quoi surprendre.
À lire les Psaumes, nous leur découvrons plusieurs fonctions. Parmi celles-ci, les Psaumes rappellent l’histoire, encadrent des règles de vie, déploient de saintes doctrines et transforment nos pensées en nous aidant à surmonter nos passions. Cette richesse de propos permet en partie d’expliquer la pertinence renouvelée des Psaumes jusqu’à nos jours. Si cette collection de haïkus, quant à elle, visait un quelconque objectif, ce serait d’encourager, par l’attention, le pouvoir transformateur des Psaumes dans notre relation avec le divin. Dès lors, comment réconcilier les différences notables entre ces deux antiques modalités d’écriture? Le haïku utilise un langage concret, commun et naturel. Le défi que je me suis donc lancé était de faire ressortir cette concrétude des Psaumes, tout en respectant leur force spirituelle. Pour ce faire, j’ai décidé de conserver la narration à la première personne, permettant aux lecteurs de s’identifier aux auteurs originaux1, tout en élaguant cette même narration, ici et là, pour favoriser les aspects plus matériels de chaque psaume. Nous espérons que les pratiquants du haïku traditionnel d’un côté, et les exégètes scripturaires de l’autre sauront tolérer ce compromis.
Dans Randonnée royale, j’invite le lecteur à s’aventurer brièvement dans certaines des multiples couches sémantiques propres à chaque psaume. Aller au-delà de ces humbles incursions demanderait une connaissance théologique approfondie. J’espère tout de même que cette ascèse esthétique suscitera une nouvelle expérience de ce trésor spirituel qu’est le Livre des Psaumes.
Ces haïkus2 appellent à un esprit contemplatif, mais la vie qu’ils relatent est pleine d’une énergie aussi bien spirituelle que matérielle. Dans ce recueil, nous nous rapprochons du roi David et partageons ses moments de grâce et ses craintes. À travers vallées et monts, rivières et déserts, sous des nuits sans lune et étoilées, nous nous retrouvons soudainement à lui emboîter le pas dans la Randonnée royale.
1 Les traditions religieuses divergent sur l’identification des auteurs des Psaumes, mais la plupart s’accordent à dire que le roi David est le plus prolifique des contributeurs, donc le plus souvent le « je » des Psaumes.
2 La numérotation des haïkus suit le système des Psaumes de la Septante grecque. Entre parenthèses, on retrouve la numérotation hébraïque ultérieure, plus répandue en Occident.
lll (lV)
matin sur le mont
maintes colonnes d’ennemis
tous aux dents cassées
lV (V)
douze paniers d’osier
lourds de blé, de vin et d’huile
le cœur est rempli
lX (X)
douzaine de flèches
le feu du Seigneur les brûle
dans la nuit sans lune
XV (XVl)
prunelle de tes yeux
le porc se gorge des restes
au bord du chemin
lXX (XX)
chevaux au galop
tirant des chariots en fer
légère modestie