Ousmane Ilbo Mahamane
Fransaskois d’origine nigérienne, Ousmane Ilbo Mahamane est le directeur de la radio communautaire Prairie FM (CFRG 93.1), basée à Gravelbourg, en Saskatchewan. Il est titulaire d’un master II recherche en communication audiovisuelle et médias de l’Université du Mirail, à Toulouse, France; d’un DESS en Politiques culturelles et action artistique de l’Université de Dijon, France et est doctorant en études cinématographiques à l’Université de Montréal. Il est l’auteur du livre Le Cinéma au Niger, 1993, OCIC-COE, Belgique ; d’un roman autobiographique Les Rondiers, une vie de bleu, 2011, Société des écrivains, Paris; et Le Rendez-vous manqué du Niger avec le cinéma, 2018, Éditions Universitaires Européennes, Allemagne. Son dernier film documentaire Zinder, à l’aune des oubliés, est sorti en 2020. Il est le créateur du festival international de cinéma Les Rencontres du cinéma africain de Niamey « Les Recan ». L’engagement d’Ousmane Ilbo Mahamane pour le cinéma et la culture nigériens lui a déjà valu de nombreuses reconnaissances à l’échelle internationale et nationale, dont celles des plus hautes autorités de son pays d’origine.
Le téléphone sonne, Ousmane se réveilla aussitôt et d’un geste du doigt il balaya le cadrant du téléphone. Une voix d’enfant lui demanda si papa sommeille encore. Sa réponse fit aussi enfantine. Oui, papa bien dormi.
Il changea de ton et demanda à sa fille Élisabeth qui n’a que deux ans, comment elle va. Elle était très contente d’entendre la voix de son père. C’est l’une des rares fois depuis sa naissance qu’elle se réveilla sans son père à côté d’elle. L’homme voulait savoir comment elle et sa maman avaient passé leur nuit. Très bien, lui répondit sa femme, qui ajouta que Hannah, qui n’avait que 6 mois, va très bien aussi, tout en ajoutant qu’elle ne s’est réveillée qu’une seule fois la nuit dernière pour téter et quant à Élisabeth, elle a pris deux bibis seulement.
Deux biberons. Il semble soulagé. Il jeta son drap de l’autre côté du lit, posa ses pieds au sol qui cherchaient la paire de tapettes. Il continua de causer pendant qu’il se brossait les dents, le téléphone accroché à l’épaule gauche maintenu par sa tête. Il était très loin de sa femme et de ses deux filles.
À l’entendre parler, on dirait qu’il voudrait se faire des ailes, se transformer en ces oiseaux migrateurs, voler très haut dans le ciel, traverser les océans et les déserts, aller embrasser sa femme et ses deux fillettes. Une grande joie et une forte envie pouvaient se distinguer sur son visage. Après avoir déposé la brosse à dents, pris une gorgée d’eau pour se rincer la bouche, la vidéo qui défilait sur son téléphone portable semble le rassurer. Maintenant qu’il est sûr que tout va bien, il laissa échapper un large sourire.
Pendant qu’il causait, une main frappa à sa porte et une voix lui dit que l’atelier débute dans quelques instants. Il prit son calepin, quitta sa chambre et s’engagea dans le long couloir de l’Abbaye Saint-Pierre de Muenster. C’est là qu’il croisa Michel, revenant précipitamment sur ses pas et se dirigeant droit vers les toilettes. Ils n’eurent le temps d’échanger que de brefs bonjours.
Ousmane emprunta le sentier en dalle sinueux qui le conduisait vers la sortie de l’abbaye. Il prend une route bitumée pour sortir de la chapelle. Derrière lui, une voiturette bleue au volant de laquelle se trouvait une très jolie femme, qui s’en allait aussi, comme lui. Sourire aux lèvres, elle lui leva les mains. Il répondit aussitôt par un bras levé et un sourire de gentillesse.
La femme et sa voiture disparurent sur cette route en tournant à gauche, puis à droite, puis encore à gauche. Empruntant le même chemin, il se trouva face à un immense champ de blé, qui s’étale à perte de vue. Au loin, certains des épis semblent toucher le ciel. Son trajet s’arrête là.
Devant lui, rien que du blé, du blé à perte de vue. Il foula doucement avec ses tapettes l’herbe fraichement arrosée par la fine pluie d’hier nuit, qui lui mouilla les pieds. Il contempla longuement l’œuvre des hommes, dans l’espace de Dieu, du tout puissant. Face aux ondulations et à la danse du blé, auxquelles seuls répondent quelques cris d’oiseaux solitaires, Ousmane ne s’est jamais senti aussi proche du ciel que dans ce monastère.
Dans la plus ancienne abbaye du Canada, fondée en 1903 par la congrégation américano-cassinaise. Il ne s’est jamais senti aussi loin de son pays, le Niger. Un pays désertique, très vaste, dans lequel tout peut pousser. Un pays qui, comparativement à ce champ de blé, peut aussi nourrir tout un peuple.
Illustration : David Baudemont