On est jeudi. J’ai froid, j’ai mal, je suis sur le bord, je ne sais plus. Je ferme les yeux, je veux dire la bouche. Je ferme et je saute dans le panier qui saute dans les joncs. Qui flottent comme l’autre, juste assez. C’est comme ça, une chanson de nulle part, de la mousse verte, alléluia. Je me désorganise, je cligne comme du monde. Je cale correct. Ou presque. Je trépide, je passe proche, plastique sur plastique. Je me couche, je lève les bras, je prie, j’essaie de prier.
Ô ruisseau, le ruisseau pue, il mène à la rivière.
La rivière pue, elle mène au fleuve, le fleuve mène à la mer.
Oui, vraiment. Ça pue, c’est loin, ça contient tout. Ou presque. On est jeudi, je veux dire mardi. Tout est mouillé. Tout est dedans. Je flétris, je me mets en boule. C’est le centre vif, un hoquet, une confusion d’un bout à l’autre. Je me plie en trois, en cinq. Je veux aider l’amie qui aide l’amie, fleurs, foulard, miettes d’antan. J’ai trop froid, je n’ai plus de doigts, plus de crayon. J’ai les jambes en styromousse, la nuit qui tombe noire. Je n’ai jamais rien écrit, je ne veux pas non plus. Mais je crois en vous. Je prends les papiers, je fais un nid. Je mastique guirlandes, je beurre mince, je m’enroule. J’avale ma face. Je ferme si ferme. Cellophane, apparences. Apparences, cellophane. Je m’enligne, j’espère, je flotte jusqu’à la fin.
Ô ruisseau, ô rivière.
Ô le fleuve, ô la mer.
Mais il n’y a pas de fin. Il faut le dire. J’espère toujours, depuis toujours. Tout est dehors, tout s’emporte d’un plein vouloir. Pétrochimique. Pariétal. Ça tient bon. Ça tient comme ça peut. Les joncs, je veux dire la vitre cassée. Ça tient à l’ensemble. Feux doux, feux sur la batture, fier flottement aux détritus. Douceur à celleux qui pleurent un départ. La branche, les branches, accrochez-nous. Bonne nuit cousines, bonne nuit cousins. Tout est mouillé, tout est parti. Tout est très loin dans le courant.
Texte : Simon Brown
Artiste : Laura St. Pierre
Simon Brown
Simon Brown (il-iel) est poète, traducteur et artiste interdisciplinaire originaire du sud-ouest du Nouveau-Brunswick (territoire traditionnel peskotomuhkati) vivant dans la région de Québec (territoire traditionnel wendat et abénaquis). Il présente ses textes dans plusieurs contextes : œuvres collaboratives, livres d’artiste, recueils et revues, dont Estuaire, Mœbius, Le Sabord, Watts, Ancrages, Lemon Hound, Vallum et Poetry is Dead. Comme traducteur, il a adapté les textes de Maude Pilon, Alice Burdick, Roxane Desjardins, Angela Carr, et Steve Savage, entre autres. Ses recueils et livres d’artiste ont paru chez des éditeurs au Québec, au Canada et en France, dont Le laps, Moult, Vanloo, squint, Paper Pusher, et Frog Hollow.
Jardin Spectral (St-Laurent 1)
Laura St. Pierre
Jet d’encre sur hahnemuhle photo rag - 2017