Une nouvelle impulsion pour la littérature francophone de l’Ouest et du Nord canadiens
Emmanuelle Rigaud
Emmanuelle Rigaud, agente de développement littéraire
Mise en contexte
Entre 2017 et 2019, un véritable mouvement a pris forme au sein des organismes littéraires de l’Ouest et du Nord canadiens. Tout à coup, de nouveaux organismes ont émergé, comme l’Association des auteur·e·s du Manitoba français, la revue À ciel ouvert, les salons du livre à Vancouver et au Manitoba, les Éditions du Pacifique Nord-Ouest. D’autres organismes qui se sont créés dans un laps de temps resserré ont également été découverts à la suite de l’étude menée sur le terrain tels que les Éditions Présence francophone aux Territoires du Nord-Ouest, le Salon interculturel du livre de l’Alberta et le Salon du livre en français de Whitehorse. Ce développement a plus que doublé la capacité du secteur, tout en apportant une nouvelle énergie à un écosystème soutenu par des organismes et maisons d’édition de longue date, telles qu’Apprentissage Illimité, Les Éditions des Plaines, Les Éditions du Blé, Les Éditions de la nouvelle plume, La Maison Gabrielle-Roy et les Presses universitaires de Saint-Boniface.
Parallèlement, les auteur·e·s de la région ont aussi entrepris une exploration de leur propre côté. Pendant une année entière, ils ont mené une étude remarquable pour comprendre les besoins et défis auxquels les créateurs et créatrices faisaient face. Le fruit de cette recherche ? La création, en 2023, du Réseau des écrivain·e·s du Nord et de l’Ouest canadien (RENOC).
Mais un besoin urgent s’est fait sentir pour le milieu de l’édition : comment structurer ce nouvel élan, comment collaborer plus efficacement ? Une autre question cruciale se posait : une fois les écrits créés, comment assurer leur diffusion non seulement dans l’Ouest et le Nord canadiens, mais ailleurs dans la francophonie ?
En 2019, des maisons d’édition de l’Ouest réunies autour de la table du Regroupement des éditeurs franco-canadiens (REFC) ont jeté les bases d’une grande étude exploratoire. Celle-ci a débuté en octobre 2023, encadrée par les Éditions du Blé avec le soutien du Conseil des arts du Canada.
Pendant un an, nous avons arpenté routes et chemins, rencontrant des bibliothécaires, libraires, enseignant·e·s, responsables de centres culturels, éditeur·e·s, auteur·e·s et illustrateur·rice·s. Chaque rencontre nous apportait une nouvelle pièce du puzzle : qu’est-ce que ces acteurs connaissaient de notre travail ? Comment pouvaient-ils mieux nous soutenir, et comment pouvions-nous mieux répondre à leurs attentes ?
Les découvertes sur le terrain
Les découvertes que nous avons faites tout au long de cette année de recherche nous ont offert un éclairage précieux sur l’état du réseau littéraire de l’Ouest et du Nord-Ouest. D’abord, ce qui nous a frappé, c’est la solidarité. Malgré les vastes distances, les organismes littéraires de la région entretiennent des liens solides et sont toujours disposés à développer de nouvelles collaborations.
Mais cette enquête nous a aussi révélé les faiblesses structurelles. Avec des équipes souvent réduites et des budgets limités, il est difficile d’innover ou de répondre aux besoins croissants. Lors de nos discussions avec les maisons d’édition, plus anciennes ou plus récentes, nous avons découvert que beaucoup d’entre elles n’avaient pas les moyens de faire voyager leurs auteur·e·s, leurs employé·e·s et leurs livres autant que souhaité; de développer des listes de diffusion plus pertinentes; de participer à certains évènements promotionnels dans les différentes villes ou de rester en contact régulier avec tous les partenaires de cet immense territoire qu’est l’Ouest et du Nord-Ouest canadien. Cette réalité entrave la promotion des livres, et plus particulièrement des évènements littéraires, qui sont si essentiels à la vitalité du secteur.
Les centres culturels que nous avons visités jouent un rôle clé dans la diffusion de nos livres. Toujours prêts à accueillir des évènements littéraires, ils se heurtent néanmoins aux mêmes contraintes que les maisons d’édition : des ressources limitées. Ils nous ouvrent volontiers les portes et apportent leur soutien, mais les auteur·e·s doivent souvent s’occuper eux-mêmes de l’organisation de leurs lancements et des ventes sur place avec un soutien, souvent à distance de leur maison d’édition qui n’est pas toujours dans la même ville ou la même province.
Le peu de librairies francophones est également un frein à la diffusion. Cependant, des relations de confiance existent avec certaines librairies anglophones locales (exemple : Audrey’s Books à Edmonton) et nous sommes chanceux de pouvoir compter sur des institutions francophones ou bilingues comme La Librairie À la page à Saint-Boniface, la librairie Nation fransaskoise à Saskatoon ou encore la Librairie Côte Ouest à Victoria.
Les auteur·e·s bénéficient souvent d’un bon rayonnement dans leur propre ville voire province grâce aux médias et organismes francophones locaux, mais cela reste une difficulté de s’étendre à l’Ouest et au Nord bien que les sujets abordés dans les écrits soient universels et pourraient intéresser un large public.
Les pistes qui se dessinent
Malgré ces défis, notre enquête a révélé plusieurs pistes prometteuses et s’est conclue avec plusieurs livrables tels que :
Un livret bilingue collectif : Présentant les différents organismes, une sélection de livres et activités littéraires de la région, il sera diffusé auprès des institutions et du grand public en version papier en janvier. (Lien vers la version numérique)
Un répertoire de ressources : Destiné aux éditeurs, il offre une liste actualisée de plus de 400 contacts clés, incluant bibliothèques, écoles, médias et centres culturels, pour faciliter la diffusion et l’organisation d’évènements littéraires.
Un plan d’action : La force de ce plan destiné aux éditeurs repose sur les outils et les partenariats identifiés au cours de l’année de recherche. Il propose des initiatives clés qui pour la plupart ont déjà commencé dont:
- La création de matériel de communication commun.
- Une stratégie de diffusion centralisée adaptée aux réalités locales.
- La recherche de fonds supplémentaires pour pérenniser les initiatives.
- L’embauche de professionnels pour coordonner la promotion, les tournées d’auteur·e·s et les relations continues avec les institutions.
- Le développement de liens renforcés avec les organismes anglophones (librairies, festivals, et autres partenaires) pour étendre l’audience et diversifier les points de diffusion.
- La maximisation de la présence des éditeurs, de leurs livres et des auteur·e·s, lors d’évènements littéraires majeurs et/ou de grands rassemblements culturels.
- C’est surtout un plan d’action très détaillé pour le court et long terme qui ressort de cette année de travail. Il vise à renforcer les collaborations déjà existantes entre les maisons d’édition et les autres acteurs littéraires et en créer de nouvelles. Certaines de ces solutions pourront être mises en œuvre rapidement avec les structures et projets existants tandis que d’autres nécessiteront des ressources additionnelles pour aller plus loin.
Une coordination renforcée
Notre enquête nous a également montré qu’à plus long terme, l’ajout d’une personne dédiée à la diffusion serait un atout majeur surtout si les capacités des différents organismes littéraires n’augmentent pas. Cette ressource pourrait coordonner la mise à jour des listes de diffusion, maintenir des relations fiables et stables entre les partenaires, et s’assurer que les livres parviennent aux destinataires appropriés selon la nature de la publication. Une stratégie de communication virtuelle commune permettrait une meilleure visibilité des ouvrages sans surcharger les équipes en place déjà débordées.
Une vision collaborative
Ce long travail de terrain a confirmé une chose : la littérature francophone de l’Ouest est riche, diversifiée, et pleine de potentiel. Nos auteur·e·s reflètent des voix contemporaines qui méritent d’être entendues dans toute la francophonie. Avec un réseau plus fort, une coordination renforcée et une vision tournée vers l’avenir, nous pouvons ouvrir de nouvelles portes et encourager plus de lecteurs et lectrices à découvrir la richesse de la littérature francophone de chez nous.
Ce projet n’est qu’une première étape. Pour assurer la pérennité des efforts entrepris, il sera essentiel de continuer à renforcer les collaborations et à mettre en œuvre les quatre axes du plan d’action (présence, diffusion, visibilité et financement). Les éditeurs, sous le leadership de Louis Anctil (propriétaire des Éditions du Pacifique Nord-Ouest en Colombie-Britannique et représentant des éditeurs de l’Ouest au sein du REFC), continueront de se rencontrer pour aller de l’avant avec les différentes étapes du plan.