Agenda littéraire

La tragédie de Moncton vue par (ou non) ICI Radio-Montréal

Originaire du Saguenay, je vis en Acadie du Nouveau-Brunswick depuis une quinzaine d’années, plus précisément dans la grande région de Moncton. J’ai aussi demeuré en Alberta, en Ontario, à l’Île-du-Prince-Édouard et au Manitoba durant de courtes périodes. J’ai donc une solide expérience de la francophonie canadienne. Je peux témoigner qu’elle existe bel et bien; qu’en certains endroits, elle est pâlotte et essoufflée, et qu’en certains autres endroits, elle est dynamique et sûre d’elle.

 

À entendre et regarder le diffuseur public Radio-Canada (national) – censé donné une image de la francophonie canadienne – j’ai par contre l’impression que tout comme des centaines de milliers de Canadiens français, je n’existe pas. Durant les tristes événements de mercredi et jeudi, à Moncton, où un jeune tireur fou a abattu trois policiers de la Gendarmerie royale du Canada, j’ai senti que mon sort de Canadienne importait peu aux affectateurs, rédacteurs en chef, chefs d’antenne et directeurs de l’information de la Grande Tour. Terrée dans ma maison avec mes deux enfants terrorisés par ce qui se passait à l’extérieur, j’ai dû me tourner à maintes reprises vers le diffuseur public anglais, CBC, pour bien comprendre ce qui arrivait et écouter les témoignages de mes concitoyens qui vivaient une angoisse épouvantable, tout comme moi.

 

J’ai été journaliste pour la radio de Radio-Canada Acadie pendant cinq ans, des années extraordinaires où j’ai vu des collègues empressés de fournir une information de qualité aux auditeurs de l’Acadie. Cette information de qualité était malheureusement majoritairement balayée du revers de la main aux bulletins nationaux de fin de soirée. Lorsque l’ancien premier ministre du Nouveau-Brunswick, Louis-J. Robichaud, est décédé en 2005, j’ai été la journaliste radio affectée pour réaliser un reportage sur cette immense perte pour les gens d’ici. Je me rappelle très bien que le reportage télé de mon collègue Daniel Caron a été diffusé en dernier au bulletin national. Pour les gens qui ne le savent pas, Louis-J. Robichaud, c’est l’équivalent en Acadie de Jean Lesage ou René Lévesque au Québec. Lorsque Jean Lesage et René Lévesque sont décédés, les bulletins nationaux leur ont été presque entièrement consacrés.

 

Et jeudi, en écoutant RDI, j’ai senti à quel point les animateurs, journalistes, réalisateurs, recherchistes de Montréal ne connaissent rien de ce qui se vit à l’extérieur de Montréal... à l’exception bien sûr de New York, Paris et Washington. Certains commentaires et certaines questions ne laissaient absolument aucun doute sur le degré d’ignorance tolérée dans la Grande Tour quand il s’agit... de tout ce qui n’est pas Montréal. Et les invités des émissions spéciales, qui tentaient tant bien que mal de commenter, étaient tous des invités... québécois qui ne pouvaient apporter de nuances relatives à la région et à la culture. Aux recherchistes de RDI, l’Acadie du Nouveau-Brunswick compte 235 000 locuteurs francophones, dont des scientifiques, des médecins, des psychiatres, des criminologues et d’anciens policiers experts en fouille, recherche et profilage.

 

Lorsque les grands bonzes de Radio-Canada demanderont aux gens de se mobiliser pour sauver le diffuseur public, faudra-t-il alors s’étonner du peu de soutien d’une population qui... (j’oubliais) n’existe pas?

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